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était une révolution agraire. Suivant lui, la tenure précaire des occupans actuels du sol devait être changée en tenure permanente, à la charge pour l’occupant de payer au propriétaire un cens, une rente déterminée par l’état. Mill se flatte que cette proposition prépara les voies à la loi que fit voter peu après M. Gladstone, « car, dit-il, c’est le caractère du peuple anglais, ou du moins des classes élevées et des classes moyennes qui représentent le peuple anglais, que, pour le décider à un changement, il est nécessaire qu’on le fasse envisager comme une transaction, » Il se défend au reste d’avoir demandé une expropriation du sol au profit de l’état; il voulait simplement donner aux propriétaires l’alternative ou de vendre ou d’accepter les conditions nouvelles. Même réduit à ces termes, son plan était encore tout à fait inacceptable, et violait ouvertement le droit de propriété.

La popularité de Mill commençait à décliner; les électeurs de Westminster n’étaient pas gens à s’enthousiasmer beaucoup pour le député qui traînait devant les tribunaux M. Eyre, le gouverneur de la Jamaïque, pour n’avoir pas su protéger la population noire de l’île contre des fureurs sans excuse. Le duel du comité qui poursuivait l’ancien gouverneur et des tribunaux dura deux ans : en vain, dans la cour du banc de la reine, le lord chief-justice, sir Alexander Cockburn, donna-t-il une opinion motivée contraire à M. Eyre : le grand-jury d’Old-Bailey arrêta les poursuites. « Il était clair, dit M. Mill avec quelque amertume, que d’amener à la barre d’une cour criminelle des fonctionnaires anglais pour abus de pouvoir commis sur des nègres et des mulâtres était un acte qui ne pouvait plaire aux classes moyennes anglaises. » Ces mêmes électeurs n’étaient pas disposés à s’enflammer pour des mesures dirigées contre la corruption électorale. L’élection de Westminster avait coûté, si mes souvenirs sont bien exacts, environ 50,000 francs aux amis de Mill et plus de 150,000 francs à M. Smith, le candidat conservateur : Mill aurait voulu enlever aux élections anglaises le caractère d’agapes politiques; mais les mœurs sont plus difficiles à changer que les lois, et l’espèce de pureté et de sobriété électorale qu’il désirait restera longtemps sans doute un rêve.

Il étonna encore bien plus ses électeurs quand il fit sérieusement en pleine chambre des communes la proposition d’abolir la distinction des sexes en matière de droit électoral. Il se trouva pourtant quatre-vingts députés pour l’appuyer, et M. Bright était du nombre. Depuis cette époque, on a nommé quelques femmes membres des comités des écoles (school boards) : on est assez enclin en Angleterre à leur laisser une place dans la discussion des affaires municipales, dans ce qui touche à l’assistance publique, à l’éducation