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choses nouveau. C’est le législateur qu’il faut changer d’abord, c’est l’homme. Il espère qu’une culture prolongée pendant plusieurs générations déracinera l’égoïsme, l’envie, l’ambition. Il ne partage pas l’illusion des sectaires qui veulent renouveler en quelques années la face de l’humanité; mais il ne regarde les institutions, les lois sociales de son temps et de son pays que comme des expédiens provisoires. Il applaudit à toutes les expériences socialistes.

Cette nouvelle tendance se dévoile dans la troisième édition des Principes d’économie politique. La première, qui avait paru un peu avant la révolution de 1848, était antisocialiste. Ce livre, il nous l’apprend, avait été écrit beaucoup plus rapidement que la Logique : il fut achevé entre 1845 et 1847; c’est pourtant un traité complet où rien absolument n’est oublié. La troisième édition parut en 1852; elle portait la trace de la transformation qui s’était faite chez l’auteur. On la trouve surtout dans le cinquième livre intitulé de l’Influence du gouvernement et dans le chapitre final, où sont marquées les limites du principe du laisser-faire ou de la neutralité de l’état. Mill abandonne ouvertement les théories des utilitaires; il montre dans quels cas nombreux l’individu n’est pas le meilleur juge de ses intérêts, et dans chacun de ces cas il substitue à l’action individuelle l’action de l’état. « Ceux qui ont le plus besoin d’être rendus plus sages et meilleurs désirent généralement le moins le devenir, et, s’ils le désiraient, ils seraient incapables de se guider par leurs propres lumières. » L’éducation du peuple est donc une des nécessités qui justifient l’action et l’intervention de l’état; il lui donne aussi la tutelle des enfans et des femmes employés dans les manufactures, il ne reconnaît pas à l’individu le droit de se lier par des engagemens perpétuels, et accorde à l’état le droit de délier des chaînes de ce genre, celle du mariage en particulier par le divorce. L’état ne doit jamais donner à des compagnies des concessions perpétuelles et a un droit de surveillance sur les concessionnaires. Il doit centraliser l’assistance publique, régler les conditions de la colonisation, encourager directement les sciences, aider et protéger tous ceux qui travaillent pour les générations futures autant que pour la génération présente. Dans le chapitre sur l’avenir des classes ouvrières, Mill se montre très sympathique à tous les essais de coopération; il avertit pourtant les socialistes que toutes leurs déclamations contre le principe de la concurrence sont vaines; il faut choisir entre la concurrence et le monopole, et les maux de la concurrence lui semblent encore les moindres.

La plupart des idées que Mill a développées dans cet ouvrage sont entrées chez nos voisins dans le domaine public. L’Angleterre n’est pas devenue encore un pays de grande centralisation, mais,