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— Et de m’appeler maman, répéta Mme Tretherick en riant avec embarras.

— Oui, dit vivement Carrie.

Elles entrèrent ensemble dans la chambre à coucher. L’œil perçant de Carrie remarqua immédiatement la malle.

— Tu t’en vas donc encore, maman? dit-elle d’un air inquiet en se cramponnant à la jupe qu’elle tenait.

— Non, dit Mme Tretherick, qui regardait par la fenêtre.

— Tu fais semblant alors? Tu joues à t’en aller? Je veux jouer aussi.

Mme Tretherick consentit. Carrie s’élança dans la pièce voisine et reparut, traînant une petite caisse dans laquelle elle commença gravement à emballer ses nippes. Mme Tretherick remarqua qu’il n’y en avait pas beaucoup. Une ou deux questions à ce sujet provoquèrent des réponses qui mirent Mme Tretherick au courant de toute son histoire; mais, pour obtenir de complètes confidences, elle dut la prendre sur ses genoux. Elles restèrent ainsi assises longtemps après que Mme Tretherick eut cessé apparemment de s’intéresser aux révélations de Carrie. Perdue dans ses réflexions, elle laissait néanmoins bavarder la petite fille tout en promenant ses doigts dans l’ardente chevelure répandue sur elle. — Tu ne me tiens pas bien, maman, dit enfin Carrie après avoir changé deux ou trois fois de position.

— Comment donc faut-il te tenir ?

— Comme cela, dit Carrie, roulant un bras autour du cou de sa nouvelle mère et appuyant une joue sur son sein, comme cela! — Et, s’étant pelotonnée ainsi qu’un petit chat, elle ferma les yeux et s’endormit.

Pendant quelques minutes, Mme Tretherick demeura silencieuse, osant à peine respirer; puis Dieu sait quelle fantaisie lui vint. Elle se rappela un chagrin qu’elle avait résolu d’oublier; elle se rappela qu’elle aurait pu avoir un enfant, elle aussi, et qu’il serait maintenant du même âge que Carrie. Les bras noués mollement autour de la petite fille endormie commencèrent à trembler, resserrèrent leur étreinte, un sanglot convulsif souleva sa poitrine, et un torrent de larmes ruissela de ses yeux. Une ou deux gouttes tombèrent sur les cheveux de Carrie, qui s’agita dans son sommeil; mais la jeune femme l’apaisa, — c’était si facile désormais, — et elles restèrent là tranquilles sans que personne les dérangeât, si tranquilles qu’on aurait cru qu’elles faisaient partie de la maison abandonnée. En vain le colonel Starbottle attendit-il toute la nuit à l’hôtel de Fiddletown. Le lendemain, quand M. Tretherick regagna son logis, il le trouva vide, sans autres habitans que les mouches et les rayons de soleil.