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ils se succédèrent, : non par une transition brusque, mais par une suite de modifications qui ne furent pas exemptes de certains retours en arrière, comme cela arriva durant la grande lutte des parlemens contre la couronne, qui remplit presque tout le règne de Louis XV et ébranla si fort le trône de Louis XVI. Il fallait, pour rentrer dans le droit véritable et assurer la bonne administration, faire succéder à ce jeu de bascule un état d’équilibre stable. Il était dès lors indispensable de marquer nettement la distinction entre les deux pouvoirs administratif et judiciaire, entre l’action exécutive et celle des tribunaux. Il fallait laisser les affaires tenant à l’application de simples règlemens, exigeant l’appréciation des circonstances, des éventualités et l’étude des détails, à des agens responsables nommés par le roi ou ses ministres, et n’attribuer aux cours judiciaires, avec la punition des crimes et délits, que la connaissance des contestations touchant l’interprétation de la loi et la solution des différends entre citoyens ; il fallait supprimer cette variété infinie de juridictions extraordinaires qui se partageaient l’exercice de la justice, ou plutôt se la disputaient dans d’éternels conflits, qui avaient empiété sur le pouvoir exécutif avant que celui-ci n’empiétât sur elles ; il fallait remplacer toute cette bigarrure de cours et de tribunaux administratifs et judiciaires par un système uniforme et hiérarchique qui empêchât de distraire un citoyen de ses juges naturels, et permît d’appliquer à tous la loi commune ; il fallait en un mot accomplir ce que la révolution a eu la gloire de proclamer. « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives, » disait l’assemblée constituante dans la loi du 16 août 1790. Le régime nouveau assura par des mesures répressives l’application du même principe ; le code pénal le sanctionna en prononçant la peine de la dégradation civique contre tout magistrat qui aurait excédé ses pouvoirs en s’immisçant dans les matières réservées aux autorités administratives ; il édicta la même peine contre les préfets, sous-préfets, maires et autres administrateurs qui auraient pris des arrêtés généraux tendant à intimer des ordres ou des défenses quelconques à des cours ou tribunaux.

L’équilibre que devait introduire cette législation ne pouvait-il sortir que d’un bouleversement qui jetterait à terre tout l’ancien régime ? Fallait-il absolument refaire par la base l’édifice social pour que les parties qui le composaient offrissent moins d’inégalité et de disparate, pour qu’elles s’ordonnassent suivant un plan affectant plus d’unité et d’harmonie ? L’ancien régime était-il par essence le gouvernement du privilège et de l’arbitraire royal, et fallait-il que l’un des pouvoirs constitutifs de l’état dominât forcément les autres sans qu’on pût réussir à faire à chacun sa juste part ? Si les événemens de 1789 à 1792 ne s’étaient pas produits, la monarchie était-elle