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crifices humains y sont en honneur et sont le complément obligé de toutes les grandes solennités. Lors de la fête du Yam, qui a lieu au commencement de septembre, comme à celle de l’Adaï, qui se célèbre toutes les trois semaines, le sang est répandu à flots. La foule assemblée, ivre de rhum, s’excite par une musique sauvage, par des cris et des danses, après quoi on lui livre les victimes, des prisonniers de guerre en général, et qui sont égorgés avec une cruauté inouïe. N’oublions pas de dire que le gouvernement est despotique, qu’il l’est de la manière la plus absolue, et que le sang des nègres y est versé avec une facilité prodigieuse.

Le Danois Roemer, qui a visité les Achantis au siècle dernier, raconte comme il suit l’accueil que lui fit le roi Opoccou. Ce monarque était assis sur un trône d’or, à l’ombre d’un arbre aux feuilles également en or. Son corps, long et maigre, était enduit de suif et saupoudré de paillettes du précieux métal. Il portait gravement un chapeau européen à large galon, et ses pieds reposaient dans un bassin en or; depuis le col jusqu’aux talons, les cornalines, les agates, les lapis-lazuli, s’enlaçaient lourdement en bracelets et en chaînes. Les nobles étaient couchés par terre, la tête couverte de poussière. Une centaine de plaignans et d’accusés étaient dans la même posture; derrière eux, vingt bourreaux attendaient le signal du roi, qui ordinairement terminait les différends des plaideurs en tranchant la tête aux deux parties. Après quelques complimens, le roi but de la bière anglaise dans une bouteille qu’il fit passer à l’envoyé du Danemark, et comme celui-ci n’en but que très peu sous prétexte qu’il craignait de se griser : « Ce n’est pas la bière qui te grisera, répliqua le monarque, c’est l’éclat de mon visage : il plonge l’univers dans l’ivresse. »

Au printemps de 1817, une mission conduite par M. Edward Bowdich fut envoyée de Cape-Coast à Coumassie, qu’elle atteignit après vingt-huit journées de marche très pénible. Elle fut accueillie par un flot de plus de cinq mille personnes, qui mêlaient à leurs cris sauvages les sons de leur musique et des décharges de mousqueterie dont la fumée enveloppait les voyageurs, tout cela accompagné de danses guerrières et de gestes frénétiques. Sur la route, un spectacle horrible arrêtait les regards : c’était un malheureux que l’on torturait avant de le sacrifier. Il avait les mains liées derrière le dos, un couteau était passé à travers chacune de ses joues; une de ses oreilles, déjà coupée, était portée devant lui, l’autre pendait de sa tête; il avait des blessures dans le dos et un couteau enfoncé dans chaque épaule. Des bourreaux, la tête enveloppée d’immenses bonnets à poils noirs, le conduisaient par une corde passée à travers le nez. Les voyageurs trouvèrent le roi entouré