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nas, l’igname, le manioc, le maïs, le riz, l’arachide ou pistache de terre, le chanvre indien on haschich, le tabac, y croissent à l’état sauvage; les bois de teck, d’ébène, de sandal, la liane aux nombreux capitules de fleurs jaunâtres et dont on extrait le caoutchouc, s’entremêlent dans les forêts à des bois de construction d’une grande hauteur. C’est là qu’on trouve l’arbre qu’on appelle l’osami, dont les fleurs ont la couleur et le parfum des lilas, l’okoumé, qui sert à faire de belles pirogues et des torches pleines de sucs résineux, qui la nuit jettent un si grand éclat autour des campemens menacés par les fauves.

Ce n’est qu’avec une nombreuse escorte et armés jusqu’aux dents que les Européens peuvent impunément, et dans un temps limité par la fin des beaux jours, se permettre d’aller contempler cette belle végétation. Les léopards, les lions, les éléphans, les rhinocéros, des serpens d’une variété infinie, peuplent les fourrés. Les crocodiles et les caïmans, couchés sous de grands roseaux, surveillent les berges des rivières, et le requin, aux embouchures des fleuves, dispute au pêcheur indigène le produit de ses pêches. Si l’on s’approche des marécages, les moustiques suceurs vous dévorent, et il s’en exhale une odeur plus fétide encore que celle que dégagent à marée basse les eaux de la Tamise à Londres. Les scorpions sont blottis partout sous la pierre que vous soulevez, il n’y a d’inoffensifs que le singe, qui y vit en troupes nombreuses, et le crapaud. Ce dernier, qu’aucun pied humain n’écrase, doit atteindre dans ces humides solitudes une longévité biblique : aussi est-il d’une grosseur hors de proportion.

Sur tout le littoral de la Côte d’Or, les cours d’eau qui se jettent à la mer sont barrés par de larges bancs de sable, et des falaises escarpées se dressant à une grande hauteur surplombent aux embouchures comme d’immenses portiques. Ces escarpemens sont sans cesse battus par les vagues que balaient les vents de l’Atlantique, et ne sont jamais sans danger pour les navigateurs, qui ont à en redouter le subit éboulement. Les lits des rivières, à sec pendant l’été, se métamorphosent l’hiver en torrens impétueux; les galets, les pierres roulées, les arbres morts en obstruent le parcours. Si un indigène veut franchir une de ces barres dangereuses pour aller à la pêche en mer, il est obligé de lancer du rivage sa barque au moment où passe une grosse lame, et de s’y précipiter lui-même à la suite pour rattraper à la nage son embarcation entraînée au large. Si on réussit à franchir la passe, afin de remonter par eau dans les terres, on se trouve enfermé entre deux rives à horizon restreint ; les yeux, fatigués bien vite d’une vue si peu étendue, se lassent encore en ne découvrant à droite et à gauche qu’épaisses forêts et jungles impénétrables.