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de vaincre les passions qui dégénèrent en états morbides. Ils essaient d’inspirer au malade une passion différente de celle qui l’obsède, et de fixer son attention sur des objets qui n’ont point de rapports avec celui qui l’absorbe.

Ce genre de médecine, cette thérapeutique morale, exige infiniment plus de tact et de discernement que l’application des remèdes ordinaires de la pharmacopée, et ce n’est pas dans nos écoles de médecine que les jeunes gens qui se destinent à l’art de guérir peuvent apprendre à connaître et à traiter les maladies où c’est l’âme qui désorganise le corps. C’est une pratique qui demande beaucoup d’études et d’observations personnelles, et dans l’intérêt de laquelle il convient aussi de puiser à une source trop négligée de nos jours. Nous voulons parler des anciens auteurs qui ont écrit sur ces questions. Les jeunes médecins trouveront autant de profit que de charme dans l’étude de ces profonds connaisseurs de l’âme humaine qui s’appellent La Chambre, Stahl, Pinel, Hoffmann, Bichat, Tissot, Richerand, Esquirol, Alibert, Georget. Ils n’y apprendront pas seulement à bien juger des passions des autres et des moyens de guérison ou d’amélioration qu’elles comportent; ils y rencontreront aussi les plus sages préceptes pour le gouvernement des leurs. Ils y verront que la santé n’est parfaite que quand des passions modérées se font équilibre avec harmonie, et que la tempérance morale est aussi indispensable au calme et à la tranquillité de la vie que la tempérance physiologique. Ils comprendront que, sans aller jusqu’au stoïcisme, où il y a plus d’orgueil que de sagesse et plus d’ostentation que de vertu, l’état le plus digne et le plus désirable pour l’esprit comme pour le corps est également éloigné des passions extrêmes, c’est-à-dire voisin d’un juste milieu paisible. Et cette conviction que la régularité et la mesure dans la vie matérielle comme dans la vie affective sont le secret, non pas du bonheur, qui n’est pas de ce monde, mais de la sérénité et de la sécurité, il s’efforcera de la répandre autour de lui comme le précepte le plus utile de la médecine. Si vous tenez, dira-t-il, à ce que vos fonctions circulatoires, respiratoires et digestives s’accomplissent convenablement et normalement, si vous voulez que votre appétit soit bon, que votre sommeil soit doux, que votre humeur soit égale, fuyez les émotions trop vives et les plaisirs trop intenses, opposez aux tristesses inévitables et aux cruelles angoisses de l’existence une âme résignée et confiante. Ayez constamment des occupations qui vous absorbent, vous divertissent et vous fortifient assez pour vous rendre inaccessibles aux périlleuses tentations du besoin ou du désir. C’est ainsi que vous atteindrez, sans trop de soucis et de souffrances, le terme de la vie.


FERNAND PAPILLON.