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jours à cette éternelle et mystérieuse chose : la force, et par-delà la force à l’esprit.


III.

Telle est la physiologie générale des passions. La pathologie n’en est pas moins intéressante. Quand l’on considère que le système nerveux de la vie animale et le système du grand sympathique gouvernent toutes les opérations vitales et que la régularité de celles-ci est absolument solidaire de l’intégrité des fonctions des centres où résident les ressorts primitifs et les capacités fondamentales de l’animalité, on voit tout de suite qu’une infinité de maladies peuvent provenir des désordres dont l’origine est dans l’abus ou l’excès des passions. Les médecins de tous les temps ont compté les passions parmi les causes prédisposantes, déterminantes ou aggravantes de la plus grande partie des maladies, surtout des maladies chroniques, car le caractère de la substance nerveuse est de ne s’altérer et de n’étendre le foyer et les conséquences de sa propre altération que peu à peu, sourdement. L’ouvrage des passions est comparable aux travaux d’approche d’une ville assiégée; elles ne procèdent pour s’emparer de la santé et de la vie qu’avec une circonspecte et sûre lenteur. Quelques remarques concernant les perturbations psychologiques et physiologiques des passions d’ordre moral, les plus périlleuses, l’amour, la mélancolie, la haine, la colère, etc., donneront une idée de l’action matérielle de ces poisons de l’âme.

On pourrait dire que l’amour est une névrose des organes de la mémoire et de l’imagination, en tant que ces deux facultés ont en vue l’objet aimé. La mémoire surtout paraît acquérir ici une intensité vraiment extraordinaire. Alibert rapporte à ce sujet un fait observé à Fahlun. Un jour qu’on travaillait pour y établir une communication entre deux puits de mine, on trouva le cadavre d’un jeune homme dans un état de conservation parfait et imprégné de substances bitumineuses. Les traits de cet individu ne furent reconnus de personne. On se rappela seulement que la catastrophe à la suite de laquelle il avait été englouti remontait à plus d’un demi-siècle. On avait déjà cessé de recourir aux renseignemens lorsque tout à coup une femme décrépite s’avança, appuyée sur des béquilles. Elle approcha de ce cadavre momifié et reconnut celui à qui elle avait été promise plus de cinquante ans auparavant. Elle se jeta sur ce corps raidi, qui ressemblait à une statue de bronze, l’arrosa de ses larmes, et manifesta une joie bruyante d’avoir, avant de descendre dans le tombeau, revu l’objet de son ancienne