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sorte de mirage qui modifie, complique et semble étendre un mouvement dont la sphère réelle est très étroite. Quoi qu’il en soit, M. Duchenne est parvenu à reproduire, par la contraction provoquée d’un certain nombre de muscles de la face, presque toutes les expressions qui répondent aux états intérieurs de l’âme, et il a pu donner à chaque muscle, outre son nom physiologique, un nom psychologique. Ainsi le frontal est le muscle de l’attention, de la surprise, de l’admiration et de l’effroi; chacune de ces passions le meut ou l’agite d’une façon distincte. Le grand zygomatique et l’orbiculaire inférieur sont les muscles de la joie, le pyramidal du nez est le muscle de l’agression, etc. En général, les muscles de l’œil sont affectés à des expressions d’un ordre plus noble, et les muscles de la bouche à des expressions d’une nature plus matérielle et grossière. Le sourire purement égoïste et sensuel ne met en action que le muscle zygomatique. C’est la contraction de l’orbiculaire inférieur qui donne à l’expression de contentement et de plaisir un caractère de douceur et de bienveillance. Outre les expressions primordiales qui résultent immédiatement du jeu d’un muscle unique, M. Duchenne a reconnu qu’un certain nombre d’états passionnels de la physionomie devaient être décomposés en plusieurs mouvemens d’ordre plus simple.

Et de même qu’il avait reproduit artificiellement les expressions passionnelles d’ordre simple, il a réalisé la synthèse des expressions complexes. L’attention, qui est produite par la contraction du muscle frontal, et la joie, qui est due à la double activité du muscle grand zygomatique et de l’orbiculaire inférieur, sont des expressions primordiales. Vient-on à déterminer simultanément sur une même face la contraction de ces divers muscles, on obtient la physionomie d’un homme qui est sous la vive impression d’une nouvelle heureuse et inattendue. Si on excite en même temps que ces muscles celui qui sert à exprimer la sensualité lubrique, c’est-à-dire le muscle transverse du nez, on réalise le type de l’attention portée vers une cause lubrique. Associe-t-on les lignes qui trahissent le plaisir à celles qui attestent la douleur, on reconnaît l’image du sourire mélancolique. Unit-on le sourire (par la contraction du grand zygomatique) au pleurer doux (par la contraction du petit zygomatique) et encore mieux à la contraction légère du muscle de la souffrance (sourciller), on voit apparaître une admirable et touchante expression de compassion miséricordieuse.

Ces dissections physiologiques si délicates, et les savantes synthèses qu’elles ont suggérées à M. Duchenne, procurent des résultats presque toujours d’accord avec les plus anciennes remarques de l’empirisme, avec les observations des peintres et des sculpteurs,