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tion quelconque est produite dans la substance nerveuse centrale, les nerfs transmettent cette vibration dans le cœur, et à l’instant même les mouvemens de celui-ci en éprouvent une perturbation qui se traduit de différentes manières. Tantôt l’action nerveuse est assez énergique pour arrêter immédiatement le cœur; le sang n’étant plus alors renvoyé dans les vaisseaux, la syncope se produit, et la peau prend la pâleur et la lividité de la mort. Tantôt un effet inverse a lieu, et les battemens du cœur, au lieu d’être arrêtés, sont accélérés : en ce cas, le sang est lancé à plein calibre dans le cerveau, et il en résulte une surexcitation de l’activité de cet organe. Le cœur n’est pas plus le siège des sentimens que la main n’est celui de la volonté, mais c’est un réactif que les sentimens modifient avec une extrême délicatesse et une infaillible sûreté. Non-seulement il révèle par le trouble même de son rhythme normal la nature de l’excitation initiale du cerveau, mais encore il provoque dans l’organisme tout entier des désordres dont l’ensemble forme un tableau qui est comme l’image physique et l’extérieur saisissable de la passion. Et il ne provoque ces désordres qu’en réagissant à son tour sur le cerveau, organe de toutes les démonstrations et de tous les mouvemens des nerfs et par suite des muscles. C’est ainsi que le cœur et le cerveau, le système sanguin et le système nerveux concourent ensemble à la production des phénomènes passionnels par une série d’actions et de réactions alternatives.

Tel est du moins le principe de la doctrine exposée par M. Claude Bernard dans une conférence célèbre faite à la Sorbonne en 1864. À cette époque, on ne connaissait pas encore bien la nature des connexions nerveuses du cœur avec le cerveau, et c’est à combler cette lacune qu’un physiologiste russe, M. E. Cyon, a travaillé avec succès dans ces dernières années. Le cœur est muni d’un certain nombre de petits ganglions nerveux autonomes, sans relations avec le cerveau, et d’où partent, sous l’influence du sang, un certain nombre d’impulsions motrices. Ce sont ces ganglions qui président aux battemens ordinaires et normaux de l’appareil cardiaque; mais le rhythme et la force de ces battemens sont à chaque instant modifiés par des excitations d’origine cérébrale. C’est que le cerveau envoie aux ganglions du cœur deux ordres de nerfs : les nerfs pneumogastriques ou ralentisseurs et les nerfs accélérateurs. L’excitation des premiers diminue le nombre et augmente la puissance des mouvemens cardiaques. Les nerfs accélérateurs agissent d’une manière inverse, ils augmentent le nombre et diminuent la puissance des contractions. Ces deux espèces de nerfs approprient l’activité du cœur à celle du reste de l’organisme, et la maintiennent en équi-