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distincte, et les mouvemens que cette passion y détermine sont éminemment involontaires.

Telle est la doctrine des passions de Bichat. C’est la doctrine des anciens, développée et éclaircie, déduite avec plus de précision et fortifiée de preuves nouvelles. Elle est vraie quand elle analyse les mouvemens viscéraux produits par les passions, fausse quand elle place le ressort et l’origine de ces mouvemens dans les viscères. C’est à Gall que revient l’honneur d’avoir démontré que les passions affectent primitivement le cerveau et non les viscères. Ce sont les expériences de ce grand homme qui ont prouvé que l’encéphale est l’organe des sentimens aussi bien que celui des idées. — Son argumentation contre Bichat se réduit aux remarques fondamentales que voici : le cœur et le diaphragme ne sont que des muscles, l’estomac et le foie ne sont que des appareils sécréteurs, le rein n’est qu’un appareil excréteur, la rate n’est qu’une glande sanguine. Plusieurs de ces organes peuvent être lésés ou enlevés sans que les passions disparaissent; par conséquent il est impossible de les y localiser. Gall examine ensuite toutes les parties du système nerveux autres que le cerveau, les plexus, les ganglions, les nerfs, les appareils des sens, et il fait voir qu’on n’y peut pas trouver davantage la source des penchans, des instincts, des affections, des passions. Enfin, arrivant au cerveau lui-même, il y découvre et y reconnaît le siège exclusif de toutes ces activités. La preuve que les passions dépendent essentiellement du cerveau, c’est que toute altération de ce viscère entraîne une perturbation des phénomènes passionnels comme des phénomènes intellectuels. Quand l’on voit des médecins profondément versés dans l’étude de la folie, un Pinel, un Esquirol, vivant il y a cinquante ans, hésiter à placer dans le cerveau la cause immédiate de la démence et des diverses manies, on apprécie l’importance du service que Gall a rendu à la science de l’homme en établissant rigoureusement les fonctions méconnues de l’encéphale et en démontrant la justesse de la doctrine de Descartes sur les passions.

Les expériences des physiologistes modernes et particulièrement celles de M. Claude Bernard ont prouvé que toutes les sensations agissent primitivement sur les centres nerveux par l’intermédiaire des nerfs qui vont de la périphérie du corps à ces centres nerveux. L’excitation qu’elles déterminent ainsi dans le cerveau ou dans la moelle épinière est portée ensuite aux filets nerveux qui aboutissent aux viscères ou aux membres, de sorte que ceux-ci ne sont jamais affectés que secondairement. Le cœur est celui de tous les organes qui ressent le plus et le plus vite l’influence des excitations sensitives déterminées dans les centres nerveux. Sitôt qu’une modifica-