Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intelligence et de la passion quant aux organes qui paraissent en être le siège a été remarquée depuis longtemps par la sagacité populaire et fixée par le langage. On a toujours dit une tête forte, une tête bien organisée, pour exprimer la perfection de l’entendement, et un bon cœur, un cœur sensible, pour indiquer celle du sentiment. On a dit aussi que la fureur circule dans le sang et remue la bile, que la joie fait tressaillir les entrailles. Les gestes sont d’accord avec les paroles : quand nous voulons marquer d’une façon muette quelque état relatif à la mémoire, à l’imagination, à la perception, au jugement, nous portons la main à la tête; s’agit-il au contraire d’exprimer l’amour, la joie, la haine, le dégoût, c’est sur la région du cœur, de l’estomac, que nous la dirigeons.

L’observation rigoureuse des faits prouve la justesse des instincts qui ont donné naissance à ces locutions et à ces gestes. Il est évident que la colère accélère les mouvemens de la circulation, que la joie agit dans le même sens, que la tristesse et la crainte déterminent un effet inverse. Des syncopes quelquefois mortelles peuvent être la suite des émotions extrêmes. Une grande douleur produit de l’oppression, des étouffemens. Une frayeur subite arrête le cours de la bile. Indépendamment de ces phénomènes apparens, les passions modifient profondément le travail nutritif et engendrent des états cachectiques plus ou moins graves. Ici encore le langage est d’accord avec la physiologie. Sécher d’envie, être rongé de remords, être consumé par la tristesse, voilà autant d’expressions qui attestent l’influence des passions sur la vie organique. Bichat fait remarquer ingénieusement le rapport qui existe d’autre part entre les passions et les tempéramens. L’individu dont le poumon est très développé, dont le système circulatoire a beaucoup d’énergie, a dans les affections une impétuosité qui le dispose surtout à la colère, à l’emportement, au courage. Là où prédomine le système bilieux, l’envie et la haine paraissent plus habituelles. Le tempérament lymphatique imprime aux passions un caractère calme et indolent. Tout prouve donc, d’après Bichat, que la vie organique est le terme où aboutissent et le centre d’où partent les passions, et que la vie animale n’en reçoit le contre-coup que consécutivement. Si le cerveau est le foyer de la vie animale, quel est celui de la vie organique, quel est l’appareil plus spécialement affecté à la production des émotions et des manifestations passionnelles? Bichat pense qu’il n’y a point d’organe à qui un semblable office soit exclusivement dévolu, et il localise les passions dans ce qu’il appelle le centre épigastrique, c’est-à-dire dans le cœur, le poumon, le foie, la rate et le système nerveux ganglionnaire qui se distribue dans ces organes. Chacun de ceux-ci est, d’après lui, le siège d’une passion