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dans ce procès du comte de Guines, sur lequel il convient d’insister à cause des graves conséquences qu’il entraîna. Accusé par son secrétaire Tort de La Sonde d’avoir fait la contrebande sous le couvert de ses privilèges comme ambassadeur du roi de France en Angleterre, et en outre d’avoir joué sur les fonds publics à la bourse de Londres en spéculant d’après les informations que sa place lui procurait, le comte de Guines était-il ou non coupable? Ce que nous apprennent de son caractère les mémoires du duc de Lévis ne montre pas un homme bien sérieux, et, si la société de Mme Du Deffand le soutient et l’exalte, c’est uniquement parce qu’il est l’intime ami du duc de Choiseul. La même raison explique le zèle de Marie-Antoinette en sa faveur. Quand il souhaita de pouvoir insérer dans ses mémoires justificatifs des extraits de sa correspondance officielle, le ministre des affaires étrangères, M. de Vergennes, s’y refusa en disant que, si l’on admettait une telle demande, le secret si nécessaire à toutes les affaires d’état serait violé, et nul ministre étranger n’oserait plus faire de communications confidentielles à aucun des agens français. Le conseil approuva unanimement la décision de M. de Vergennes ; mais, quand la reine en fut instruite, elle fit de tels efforts auprès du roi que celui-ci, malgré le vote, donna au comte de Guines la permission qu’il sollicitait. Le procès fut jugé au commencement de juin 1775, et Tort de La Sonde condamné comme calomniateur. La reine voulut alors un triomphe complet, et elle obtint du roi l’exil de d’Aiguillon, chef détesté de l’ancienne cabale. Elle l’écrit au comte de Rosenberg, pour qu’on n’en ignore : « Ce départ de M. d’Aiguillon est tout à fait mon ouvrage. La mesure était à son comble; ce vilain homme entretenait toute sorte d’espionnage et de mauvais propos. Il avait cherché à me braver plus d’une fois dans l’affaire de M. de Guines; aussitôt après le jugement, j’ai demandé au roi son éloignement. Il est vrai que je n’ai pas voulu de lettre de cachet; mais il n’y a rien perdu, car au lieu de rester en Touraine, comme il voulait, on l’a prié de continuer sa route jusqu’à Aiguillon, qui est en Gascogne. »

La pointe d’ironie victorieuse qui perce dans ces lignes montre quel accueil Marie-Antoinette réservait à ceux des ministres qui n’entraient pas dans les intrigues de la cour; mais cette fois encore les excitations ne lui venaient pas de la cour de Vienne : nous avons vu tout à l’heure Marie-Thérèse fort éloignée de souhaiter le retour de Choiseul au ministère, et elle désapprouvait aussi la manière dont s’était décidé l’exil de l’Aiguillon. Son fidèle secrétaire Pichler en écrivait nettement à Mercy le 4 juillet 1775 : « Quelque bien que sa majesté souhaite au duc de Choiseul, elle ne saurait approuver l’intérêt trop marqué que la reine prend en sa faveur. Sa majesté est persuadée que, dans la situation actuelle des affaires, un mi-