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la plus haute fortune était la récompense des plus vils et des plus infimes manèges, la dissolution, prenant la place du gouvernement, avait enfanté des ligues, des coalitions, des conspirations permanentes, qu’un changement complet des mœurs, d’accord avec l’énergie persistante d’un nouveau règne, aurait seul pu désarmer.

La première faveur de Marie-Antoinette dès qu’elle fut reine devait naturellement être pour Choiseul et ses partisans contre tout ce qui avait triomphé avec la Du Barry. A ceux-ci, elle attribuait, non sans raison, un bon nombre des calomnies et des chansons publiées contre elle. C’était ce parti, le duc d’Aiguillon en tête, qui avait renversé Choiseul et privé la dauphine, dès son arrivée en France, d’un appui qu’elle avait tout lieu de regretter, d’un ministre intelligent, fier, spirituel, en qui elle s’obstinait à ne voir qu’un ami politique. Mercy a raconté avec quelle insistance, quelques semaines à peine après son avènement, la reine obtint le rappel du duc exilé. Louis XVI y répugnait, ayant peu de goût pour Choiseul; mais Marie-Antoinette invoqua le souvenir de son mariage, et il céda. Difficilement il obtint que l’avis n’en fût pas adressé au duc avant que la décision royale eût été communiquée aux ministres pendant un conseil qui devait se tenir le jour même. On était convenu du reste que Choiseul, après être venu saluer le roi et la reine, repartirait immédiatement pour Chanteloup. Du même coup d’Aiguillon recevait son congé malgré les conseils de Mercy, malgré ceux de Marie-Thérèse, qui acceptait très volontiers, nous l’avons dit, que ce ministre indolent demeurât aux affaires. « Faute de pouvoir résister à sa petite animosité, écrivait Mercy, la reine seule a opéré le renvoi du duc d’Aiguillon, qui sans cela serait resté en place. Il suit de là une grande preuve de crédit, mais j’ai été affligé de l’usage qui en était fait : premièrement parce que cela était dicté par un esprit de vengeance, et secondement parce que la rancune n’avait pas cédé à des raisons où l’intérêt de votre majesté se trouvait impliqué. » Bientôt les fêtes du sacre amenèrent Choiseul à Reims, ce fut pour ses amis l’occasion de nouvelles tentatives en sa faveur; mais le roi répondait avec humeur et par de secs refus. L’aimable et gracieuse Mme de Brionne intervint. On connaissait jusqu’à en médire son dévoûment envers Choiseul, pour qui elle employait sa haute parenté, étant Lorraine d’origine. Elle fit passer par la reine une note osant demander le retour de Choiseul au ministère, à quoi Louis XVI répondit rudement : « Qu’on ne me parle jamais de cet homme-là ! » C’est pourtant en faveur de ce même homme, après de pareils échecs, dans un moment tel que celui du sacre, que Marie-Antoinette à son tour fit une indiscrète démarche par laquelle on peut juger d’une disposition de caractère et d’esprit qui était bien de nature à la compromettre. Elle nous apprend