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renouvelèrent maintes fois entre le lieutenant-général de police et le prévôt, des marchands, chef du corps municipal. A Lyon, l’institution d’un lieutenant-général de police avait également blessé le corps de ville ; mais l’administration de l’officier du roi était, il, faut le dire, bien autrement active et intelligente que celle d’une réunion de bourgeois ordinairement plus préoccupés de leurs privilèges que des améliorations dont le service était susceptible, qui cherchaient par esprit de contradiction et de jalousie plus à entraver des mesures souvent indispensables qu’à en aider la mise à exécution. Dans bien des conflits entre le prévôt des marchands et les échevins d’une part et les représentans de l’autorité royale de l’autre prédominaient des questions d’amour-propre, d’ambition et de rivalités personnelles.

Il importe d’ailleurs, pour apprécier le caractère de la lutte qui se produisait alors, de distinguer ce qui touche à l’administration des garanties que les contribuables représentés par les municipalités étaient en droit d’exiger. Sans aucun doute la substitution des agens du pouvoir central aux mandataires de la population eût souvent de fâcheuses, conséquences. Les corps de ville, en perdant graduellement leurs privilèges, en n’étant plus réduits qu’à exécuter les ordres de l’intendant, du subdélégué, du lieutenant de police, laissèrent par cela même sans défense contre la rapacité du fisc et l’arbitraire administratif ceux qui ne tenaient pas de leur naissance ; ou de leur office des immunités. La porte était ouverte par cette annihilation des municipalités aux plus criantes injustices, ainsi que l’a montré M. Louis Duval dans un livre récemment publié sur les Cahiers de la province de Marche pour les états-généraux de 1789. La répartition de l’impôt se faisait d’une manière inégale et souvent inique. Elle aurait dû être confiée à des municipalités choisies, non comme elles l’étaient au XVIIIe siècle par une assemblée de notables la plupart privilégiés, mais par la libre élection des intéressés. De telles garanties manquaient dans le régime municipal du siècle dernier ; pourtant cela ne veut pas dire que les corps de ville promissent une administration plus vigilante et plus éclairée que celle des officiers royaux. Loin de là, les municipalités donnaient le spectacle d’une déplorable incurie, et leur intervention n’aboutissait souvent qu’à une stérile anarchie. Aussi dans cette guerre, plus habituellement sourde que déclarée, entre les agens du roi et les corps de ville, la victoire resta-t-elle aux premiers. Les forces n’étaient pas au reste égales ; les villes privilégiées avaient perdu presque toute leur autonomie. Les corps municipaux avaient vu leur juridiction se limiter de plus en plus ; Louis XIV leur porta le dernier coup en réservant au pouvoir royal le droit de nommer, aux charges municipales ou plutôt celui de les vendre. Le prévôt des