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prince de Rohan a été un si fin diplomate, Kaunitz et Joseph II s’y sont donc bien trompés, car Marie-Thérèse nous atteste qu’ils ne souhaitaient pas comme elle de le voir rappelé, l’empereur aimant ses turlupinades (c’est son expression), et Kaunitz trouvant « qu’il ne l’incommodait pas. » Quant à l’impératrice elle-même, il suffira de lire ses lettres pour comprendre qu’elle devina dans Rohan le prêtre éhonté, le débauché et le pervers; elle pressentit en lui pour elle et pour sa fille un mortel ennemi. Il est bien remarquable qu’elle l’accuse dès lors d’oser supposer en son nom de fausses lettres et de répandre, de concert avec son âme damnée, l’ex-jésuite Georgel, de viles calomnies. Il y avait là déjà de sinistres préludes, c’est-à-dire des haines et des aversions, dont les cruels effets se retrouveront plus tard, dans le fatal procès du collier. Pour nous, le prince de Rohan a été beaucoup plus un vicieux et méchant personnage qu’un habile diplomate. Marie-Thérèse l’a détesté pour son caractère tout d’abord et comme d’instinct. Marie-Antoinette a simplement partagé le sentiment de sa mère avant de n’être que trop autorisée à une haine personnelle envers cet homme. Ni l’une ni l’autre n’a songé à poursuivre en lui, au nom des intérêts de l’Autriche, un agent trop clairvoyant et trop dévoué du roi de France. — En résumé, dans tout cet épisode du démembrement de la Pologne, nous ne trouvons nulle trace d’une pression fâcheuse et blâmable que Marie-Thérèse ou la cour d’Autriche aurait exercée sur Marie-Antoinette. Soulavie a mis en circulation cette médisance et bien d’autres sans de suffisantes raisons. « La reine n’est, par caractère, que trop éloignée de se mêler de toute affaire, écrit Mercy le 7 juin 1774, et il serait bon que votre majesté daignât ne point trop lui recommander de s’en abstenir. »

Les choses allèrent plus loin toutefois lors de l’affaire de la succession de Ravière, par trois raisons : Marie-Antoinette, en 1778, n’était plus simplement dauphine, elle était reine, et bientôt enfin mère pour la première fois (19 décembre), circonstance de nature à augmenter considérablement son crédit. Il s’agissait en outre d’une affaire qui intéressait directement l’Autriche, et en vue de laquelle cette puissance se réclamait directement aussi de l’alliance française, dont la reine était le gage. Enfin la négociation était engagée moins encore peut-être par Marie-Thérèse que par Joseph II, qui y apportait sa fougue impérieuse, et exerçait sur sa sœur un ascendant presque irrésistible.

On sait quelle fut l’occasion de ce débat. A la mort de l’électeur de Ravière Maximilien-Joseph, 30 décembre 1777, l’Autriche s’était empressée d’occuper militairement toute la Basse-Ravière comme fief de l’empire. Ses prétentions se fondaient sur un traité secret avec l’électeur palatin, parent et héritier du prince défunt, et sur