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raient subi post eventum quelques modifications de nature à les faire cadrer plus étroitement avec les faits accomplis, il est rationnel de penser qu’il avait émis à plusieurs reprises de sinistres prévisions sur le sort réservé à son pays aveuglé : elles étaient dans la logique de sa pensée et formaient le complément naturel de sa prédication repoussée. C’est ce qui explique l’émigration en masse de ses disciples vers les régions transjordaniques au début même des hostilités. L’auteur de l’Apocalypse connaît cette fuite. Il sait même que Satan, furieux de voir ses victimes en passe de lui échapper, a voulu leur barrer le chemin au moyen d’un fleuve aux eaux tumultueuses. Ce détail apocalyptique est indirectement confirmé par Josèphe, qui parle aussi de fuyards quittant Jérusalem à l’approche des armées romaines et contrariés dans leur fuite par une crue exceptionnelle du Jourdain. Notre auteur est donc rassuré sur le sort de ses amis, qui sont pour lui l’élite du véritable Israël. Quant à la ville assiégée, elle est toujours à ses yeux la ville sainte, le temple n’a pas déchu de sa dignité comme sanctuaire incomparable de la seule vraie religion. Seulement ceux qui le fréquentent ont en majorité commis une faute grave. Ils persistent à méconnaître le vrai messie, ils acceptent ainsi la solidarité avec ceux qui l’ont crucifié. Ils ont donc mérité un châtiment. Jérusalem sera forcée par l’assiégeant, une partie notable de ses habitans périra; mais, éclairés par cette rude leçon, les autres Juifs se convertiront, la victoire des gentils sera de courte durée, et surtout le temple, ce lieu sacro-saint, demeurera vierge de toute souillure. L’ennemi n’y pourra pénétrer, et les élus marqués par l’ange y passeront en toute sécurité le temps de la grande crise. C’est ainsi que le prophète de Patmos croit pouvoir concilier sa foi chrétienne et son attachement au judaïsme. Il prévoit un châtiment, mais non pas une ruine totale.

Comme il est dangereux de prédire! Le temple de Jérusalem, bien loin d’offrir un refuge aux élus, servit de repaire à Jean de Gischala et à ses sicaires. Le meurtre et le carnage en sortirent pendant des mois; puis il fut brûlé par les vainqueurs dans un dernier assaut, et une fois de plus la réalité brutale vint écraser le rêve dont le seul défaut était de s’attacher à des poutres et à des pierres. Si, au lieu du temple construit de main d’homme, l’écrivain de Patmos eût un peu plus pensé à ce temple de l’esprit, toujours debout, toujours imprenable, toujours ouvert à l’innocence méconnue et au bon droit persécuté, il eût annoncé une vérité sublime que tout depuis eût confirmée.

Il n’en reste pas moins que le règne de Néron fut décisif dans les destinées de l’église chrétienne. En la persécutant avec la dernière atrocité sans comprendre les Juifs dans ses décrets sanguinaires,