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sens de ses nombreux symboles, pour qu’il recouvre une certaine popularité. Depuis lors, toutes les fois que la scène du monde est ébranlée par de grandes commotions, toutes les fois surtout que la persécution sévit, l’Apocalypse retrouve son prestige, chaque siècle croit s’y reconnaître, et les âmes ardentes y lisent ce qu’elles espèrent.

Entre autres prédictions démenties par l’événement, il y en eut une qui dut infliger des déceptions cruelles à ceux qui avaient compris et partagé les idées de l’auteur, je veux parler de la prédiction qui annonçait que le temple de Jérusalem échapperait à la destruction. Ce serait en effet ne rien comprendre à l’Apocalypse que de borner les préoccupations qui l’inspirent au duel de l’empire et de l’église chrétienne. L’auteur est juif tout aussi bien que chrétien. Il unit encore, dans ses croyances comme dans son cœur, les deux causes que tout allait séparer de plus en plus, le judaïsme et l’Évangile. Pendant qu’il écrivait son livre passionné, les événemens se précipitaient en Judée. Depuis l’an 66, le peuple juif était en pleine insurrection contre l’empire romain, et malgré les cruels revers qui avaient suivi un moment de facile triomphe, il s’opiniâtrait dans cette lutte démesurée. Jérusalem était assiégée, cernée, mais défendue avec une constance, un héroïsme sans exemple. Le récit de ce siège mémorable et de ses sanglantes péripéties est encore une des belles parties de l’ouvrage de M. Renan. Il est impossible de décrire d’une manière plus colorée à la fois et plus réelle les passions formidables qui bouillonnèrent pendant deux ans à l’intérieur de la malheureuse cité, éternel objet d’admiration et d’horreur. L’auteur de l’Apocalypse ne doit pas avoir connu l’état de la ville assiégée, rien du moins n’indique dans son livre qu’il en ait eu connaissance. S’il est vrai, comme M. Renan le présume, qu’on n’abordait guère à Patmos qu’en allant de Rome en Asie-Mineure ou vice versa, il se pourrait fort bien qu’il fût venu de Rome quand il séjourna dans cette île[1]. La manière dont il se représente l’issue de la guerre qui se déroule sur le sol sacré de la Palestine est bien conforme à son double caractère de juif et de chrétien. Les juifs-chrétiens de Jérusalem avaient fui la ville menacée dès le commencement de la guerre; leur foi en Jésus comme vrai messie ne leur permettait pas de se faire illusion comme le reste de leurs compatriotes sur ce qui attendait le peuple insurgé. Lors même que les paroles de Jésus concernant la ruine de Jérusalem, rapportées par les Évangiles, au-

  1. Mais pourquoi ne supposerait-on pas aussi qu’il vint s’y établir tout simplement dans l’idée que, dans cette île où se croisaient les navires venant de Rome ou y allant, il serait au meilleur endroit pour apprendre à la fois les nouvelles de Rome et celles d’Asie?