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tir le moindre mal. Il serait de nouveau très surprenant que l’Apocalypse, où la personne de l’apôtre Jean est placée sur le premier plan, ne contînt aucune allusion à un genre de martyre aussi exceptionnel. Quant à la thèse soutenue aujourd’hui par plusieurs critiques éminens, entre autres par le professeur Scholten, de Leide, d’après laquelle il faudrait aussi ranger parmi les légendes le séjour prolongé de cet apôtre à Éphèse, où il aurait atteint les dernières limites de l’âge, nous avouerons que nous ne savons trop à quoi nous résoudre. On peut beaucoup alléguer pour et contre. Il y a toutefois un fait bien curieux et qui longtemps avait échappé aux investigations de la critique, c’est que, d’après une assertion de Papias, auteur chrétien de la première moitié du second siècle, l’apôtre Jean aurait été tué par les Juifs[1]. Or la tradition veut qu’il se soit éteint paisiblement à Éphèse. Tous les élémens qui se rapportent à cette période obscure de la fin du siècle apostolique sont donc bien difficiles à tirer au clair, et malgré les prudentes réserves dont s’entoure M. Renan nous craignons qu’il n’ait encore beaucoup trop affirmé.


III.

Les erreurs ou les faiblesses de détail que nous venons de signaler n’influent en réalité que très peu sur la justesse générale des conclusions de M. Renan. Sa peinture des hommes et des choses sous le règne de Néron est admirable. Ici nous sortons des questions péniblement débattues par des érudits qui bataillent sur des textes écourtés, incohérens, ambigus, et nous entrons enfin sur le domaine largement éclairé de l’histoire positive. La personne de Néron et l’Apocalypse vont former désormais les deux objets solidaires de cette étude historique. Ce qui ne manque pas d’un certain piquant, c’est qu’à l’heure où nous sommes, de ces deux énigmes, l’empereur et le livre, c’est sans contredit le livre, si longtemps considéré comme l’idéal de l’indéchiffrable, qui s’explique le mieux, le plus aisément et à la plus grande satisfaction de l’esprit.

Nous rangeons la personne de Néron parmi les énigmes de l’histoire, et ce n’est pas sans motifs. Ce dernier des Césars a laissé le souvenir de l’un des plus infâmes scélérats couronnés qui aient jamais existé, et pourtant on ne peut pas s’en tenir à cette impression pure et simple d’horreur quand on étudie de près son caractère et son règne. Nos historiens classiques, se bornant à répéter Tacite, Suétone et les pères de l’église, énuméraient ses crimes, racon-

  1. L’ouvrage de Papias est perdu, mais il fut souvent lu et cité par d’autres écrivains, et le passage relatif à la mort de Jean est reproduit par un chroniqueur da IXe siècle nommé George Harmatolus,