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nient formellement l’authenticité de cette épître sont tout près d’avoir raison.

L’équité nous ordonne, il est vrai, d’ajouter que M. Renan ne s’aventure dans ce genre d’explications que contraint et comme à regret. Il s’exprime toujours comme s’il ne présentait que des probabilités dont il se garderait bien de jurer. Ses conclusions critiques sont une série de peut-être, et dans son groupement historique il compte plutôt sur la vraisemblance de l’ensemble que sur la solidité des matériaux isolés dont il se sert pour le construire. Il cherche à faire une voûte dont les pierres s’appuieront l’une sur l’autre. Chacune d’elles séparée des autres tomberait infailliblement; c’est le rapprochement qui les maintient. La méthode en elle-même est fort légitime, nous avouerons même qu’elle est à peu près inévitable dans un travail historique de ce genre; mais cela n’ôte pas à la critique le droit de contester la solidité de certains blocs très faiblement cimentés, et par conséquent celle de la voûte tout entière.

La question fort intéressante du séjour de l’apôtre Pierre à Rome est aussi dans ce livre l’objet d’une discussion détaillée. On connaît la prétention traditionnelle : l’apôtre Pierre, peu d’années après la mort de Jésus, se serait transporté à Rome en qualité de prince des apôtres et de vicaire du Christ, il y aurait fondé, organisé et dirigé comme évêque la première église romaine, et au bout de vingt-cinq ans d’épiscopat ou plutôt de papauté il aurait subi le martyre quelques jours après le grand incendie. M. Renan, tout en manifestant un certain dépit contre les écrivains protestans qui ont battu cette tradition en brèche, leur donne cependant raison quant au principal. Il reconnaît comme démontré que ni Pierre ni aucun apôtre n’a fondé l’église chrétienne à Rome, que Pierre n’en a jamais été l’évêque, et qu’il n’a pu se trouver dans cette ville que de l’an 62 à l’an 64, c’est-à-dire un peu moins de trois ans. Nous lui accorderons que cela aurait dû suffire aux controversistes protestans qui ont nié avec trop d’acharnement un séjour quelconque de Pierre dans la ville impériale et qui ont envoyé cet apôtre, sur la fin de sa carrière, à Babylone, en se fondant sur une très mauvaise exégèse de la première épître qui porte son nom. Il faut donner complètement raison à M. Renan quand il fait observer que dans un écrit chrétien de ce temps-là le nom de Babylone, présenté sans commentaire, ne peut signifier autre chose que Rome. Nous irons plus loin. Il est certain que de très bonne heure on crut dans l’église chrétienne au séjour et à la mort de Pierre dans la ville impériale. La tradition sur ce double point paraît déjà incontestée au milieu du IIe siècle. Néanmoins l’épître de Clément Romain, écrite à Rome à la fin du Ier siècle, et qui logiquement aurait dû signaler un tel fait, pour elle très