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tice impériale. Ils se préparaient pourtant à une lutte désespérée contre l’empire; mais de ce côté encore le christianisme allait se montrer profondément distinct de la religion nationale dont il était issu. Tandis que les Juifs de Palestine, exaspérés par les envahissemens de la politique romaine, exaltés jusqu’à l’extravagance par leurs attentes messianiques, croyaient préluder à la conquête du monde en chassant les aigles romaines de la terre-sainte et en proclamant leur indépendance, les chrétiens qui vivaient parmi eux, n’espérant rien d’une entreprise à laquelle devait manquer la bénédiction céleste, quittaient Jérusalem et les environs pour se réfugier dans la région transjordanique, et y attendre paisiblement les grandes choses qui allaient venir. Cependant les armées romaines rentraient victorieusement en Palestine. Les défenseurs de l’indépendance reconquise perdaient du terrain tous les jours. Jérusalem était cernée ; mais les défenseurs étaient nombreux, courageux, fanatiques. Et puis une autre série de nouvelles éclatantes tenait en suspens l’Occident et l’Orient. Il n’y avait plus de Césars. Les légions des provinces fabriquaient tous les jours un empereur de leur façon. Néron était mort, du moins avait disparu. L’œuvre gigantesque des Jules et des Auguste semblait à la veille de s’écrouler. La révolte obstinée des Juifs faisait l’effet de préluder à l’insurrection générale des nationalités opprimées. Le monde n’a peut-être jamais passé par une anxiété plus universelle et plus poignante.

Telle est la situation d’où sortit l’Apocalypse, le livre saillant de ce moment critique. L’incendie de Rome en l’an 64, l’atroce persécution qui sévit sur les chrétiens de la capitale, l’insurrection juive, la mort mystérieuse de Néron en 68, l’ébranlement général qui la suivit, telles sont, selon le terme usité en critique, les suppositions de ce chant de terreur et de rage, qui devait si longtemps épouvanter les âmes pieuses en leur annonçant la prompte venue de l’antechrist.


II.

M. Renan est artiste aussi bien qu’historien. Cette double qualité est tout le contraire d’un défaut. L’histoire est, elle aussi, une grande artiste, dont les combinaisons imprévues, incohérentes seulement en apparence, sont en réalité commandées par une loi interne qui les coordonne, en fait la beauté et en détermine le vrai sens. Pour discerner cette loi au-dessous et au travers du flux des événemens, il faut le coup d’œil de l’artiste, celui qui permet de saisir les harmonies et les transitions des choses disparates sans cesser d’apercevoir les contrastes. Telle est la différence qui dis-