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sance d’un levain réformateur. Comme le dit quelque part ce livre dont nous allons parler, les pensées les plus hardies finissent par se faire accepter, pourvu qu’elles subissent longtemps sans répondre les objections des conservateurs.

Après avoir retracé l’histoire du fondateur du christianisme et des premiers temps apostoliques, M. Renan est arrivé au moment le plus grave, le plus fertile en conséquences de tout genre, du Ier siècle de l’église, au règne de Néron, à l’incendie de Rome, à la première grande persécution, à l’épouvantable guerre juive. C’est le moment en effet où la chrétienté, disséminée dans le monde païen, prend enfin conscience d’elle-même, de la solidarité qui relie ses membres dispersés, et se décide à couper le câble qui la rattachait encore au judaïsme. Néron, par ses folies et ses cruautés, se trouve avoir plus fait pour la fondation définitive de l’église chrétienne que les empereurs les plus bienveillans pour elle. La sanglante persécution dont il fut l’auteur donna son baptême de sang à la petite secte chrétienne, elle la tira de sa profonde obscurité, et en fit une puissance officielle avec laquelle l’empire crut nécessaire de se mesurer. À cette rude école, la conscience chrétienne acquit de sa force indomptable des notions qu’elle ne devait plus perdre. La ruine de Jérusalem et du temple juif, consommée par les lieutenans impériaux, fit une évidence palpable de ce qui n’avait été jusqu’alors qu’une théorie audacieuse, proclamée sans doute par l’apôtre Paul, mais tenue pour suspecte par la majorité méticuleuse des premières communautés. Tous comprirent désormais que l’Évangile et la loi juive étaient choses complètement distinctes, que celle-ci pouvait tomber, perdre son caractère obligatoire, sans que l’Evangile lui-même en souffrît la moindre atteinte. Il faut qu’on le sache bien : si cette distinction n’était pas enfin devenue claire comme le jour à tous ceux qui portaient le nom chrétien, jamais le christianisme n’eût fait ses merveilleuses conquêtes. Il serait demeuré obscur, inerte, végétant mesquinement comme une petite société de pieux rêveurs, sans prise sérieuse sur le monde, et il n’est pas certain que nous en connaîtrions aujourd’hui l’existence. On a depuis longtemps remarqué l’étonnant silence de Josèphe, l’historien juif, sur la personne de Jésus, son œuvre et ses disciples. Ce silence s’explique depuis qu’une connaissance plus exacte de son temps et des mobiles qui dirigeaient sa plume nous a révélé sa tendance systématique à taire devant ses lecteurs grecs et romains tout ce qui avait trait aux idées messianiques de ses compatriotes. Cette explication toutefois exige un complément : Josèphe ne pouvait compter sur l’effet d’un pareil silence qu’à une condition, c’est que ses lecteurs eux-mêmes ne distinguassent pas clairement les chrétiens des juifs. Si, au moment