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peut se maintenir longtemps ; rien à la longue n’est plus insupportable que l’hypocrisie. Quand M. Castelar prouvait par des exemples que les conservateurs seuls peuvent réaliser les plans conçus par les révolutionnaires, il exprimait d’un mot deux grandes vérités. La première est que la révolution, livrée à elle-même, s’entend mieux à détruire qu’à fonder, la seconde que les conservateurs ne font œuvre qui dure qu’à la condition de mettre leurs talens au service des idées nouvelles. S’il est des résistances nécessaires, la morgue doctrinaire a fait son temps. Aujourd’hui, on gouverne les hommes par l’espérance mieux que par la compression.

Si la révolution de septembre n’avait eu pour résultat que le renversement d’une dynastie, il serait plus facile de défaire son ouvrage ; mais en 1869 l’Espagne s’est donné une constitution démocratique, dont les principes ont été embrassés avec ardeur par la majorité de la nation. Un des hommes les plus considérables du parti alphonsiste, M. Canovas del Castillo, qui s’est honoré par sa constance dans sa foi dynastique comme dans son libéralisme, écrivait en 1871 que les cortès constituantes de cette époque avaient tout renouvelé en Espagne, qu’elles avaient fondé les pouvoirs publics sur le suffrage universel directement ou indirectement exercé, détruit ce qui restait de l’antique intolérance et proclamé l’entière liberté religieuse, établi le mariage civil, transformé la législation politique et administrative. « Il est probable, ajoutait-il, que cette œuvre immense sera sur plus d’un point amendée et remaniée ; mais on ne pourra jamais l’annuler. En tout cas, personne ne peut contester son importance ; aucun événement n’en eut davantage depuis que d’anciens royaumes, s’unissant par voie d’héritage ou de conquête, ont donné naissance à la nation espagnole[1]. »

Que feront les alphonsistes de cet événement et de cette constitution ? On comprend qu’ils évitent de se prononcer sur cette question chatouilleuse, de déclarer nettement le sort qu’ils réservent à la liberté religieuse, au mariage civil et au suffrage universel. Il est difficile au prince des Asturies d’accepter une charte qui le condamnerait à renouveler l’essai malheureux de la monarchie démocratique ; serait-il sage à lui de la rejeter et de fournir ainsi une devise et un grief communs à tous les ennemis de sa restauration ? Dernièrement un des principaux auteurs de la révolution de 1868, l’amiral Topete, prononçait ce mot significatif : « je ne me sens pas disposé à repasser le pont d’Alcolea[2]. » Le libéralisme a reçu

  1. La Oposicion liberal-conservadora en las cartes constituyentes de 1869 à 1871. Prologo, p. V et VI.
  2. Pont sur le Guadalquivir, au nord-est de Séville. Le 28 septembre 1868, le général Serrano y remporta sur les troupes royales, commandées par le général Novaliches, un avantage signalé, qui décida du triomphe de la révolution.