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de leurs sympathies collectives ou particulières, leur promettant de désarmer tant que durerait la guerre civile, et la plupart ont tenu parole. Aussi bien ils n’avaient pas encore arrêté leur plan de campagne ; ils passaient leur temps à se tâter, à se pressentir mutuellement. On s’abouchait les uns avec les autres, on examinait toutes les combinaisons possibles, en évitant de se lier les mains. La confusion était telle que les naïfs ne savaient où donner de la tête, ni à qui s’adresser pour se procurer une cocarde, un chef de file et une opinion, — ils étaient aussi désorientés qu’un soldat qui dans le désordre d’un champ de bataille ne réussit plus à retrouver son régiment. « Je me lève tous les matins sans savoir ce qu’est devenu mon parti, disait l’un d’eux, et, quand je me couche, je ne le sais pas davantage. »

Depuis peu l’ordre s’est fait dans ce chaos ; on s’est classé, compté, affirmé, et trois bannières flottent au vent. Par un manifeste remarquable, sagement conçu et nettement déduit, les radicaux ont fait acte d’adhésion à la république, comme au seul gouvernement possible, mais à la république unitaire et conservatrice. « Nous voulons, disent-ils, un gouvernement à la fois démocratique et conservateur, qui défende les conquêtes de la révolution contre les réactionnaires aussi bien que contre les démagogues, et nous pensons qu’une république sérieuse et forte donnera plus de sûretés à l’ordre qu’une monarchie, parce qu’elle excitera moins d’ombrages et fera plus facilement reconnaître son autorité. Si nous nous groupons loyalement, ajoutaient-ils, autour du drapeau républicain, nous déclarons en revanche que depuis que le fédéralisme a révélé ses tendances socialistes, après les crimes de Séville et d’Alcoy et les rapines de Carthagène, il nous est impossible d’accepter la république fédérale. Bien loin qu’elle fût une garantie pour les idées libérales, elle leur tournerait à ruine ; les principes reconnus par la nation seraient à la merci de toutes les fantaisies locales et des répugnances irréfléchies de plus d’une province. Quels tristes hasards courrait la liberté religieuse, si elle était soumise à la sanction des cantons basques ! Le sort de la propriété serait-il plus heureux, si on la confiait à la garde des législateurs de Carthagène ? » Ce manifeste, muni de nombreuses signatures, en tête desquelles figure le nom de M. Cristino Martos, président de la junte directrice, a produit une juste sensation. Le parti radical a commis bien des erreurs de conduite, mais on ne peut méconnaître son importance : il représente, nous l’avons dit, une notable partie de la bourgeoisie, et il a de nombreuses intelligences dans l’armée. Les radicaux semblent vouloir doter la république espagnole d’un centre gauche, et quel est aujourd’hui le pays qui ne soit pas centre gauche ?