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produit des politiques et des généraux ; ce qui lui a manqué, ce sont des administrateurs et un ministre des finances qui joignît un peu de génie à beaucoup de caractère. Philippe II vivait déjà d’expédiens, tout le monde après lui a jugé bon de se conformer à son exemple.

L’Espagne en est arrivée à ce point que sa situation politique lui permet difficilement d’asseoir avec succès de nouveaux impôts, et que l’état de son crédit lui laisse peu de chances de contracter de nouveaux emprunts. « Depuis longtemps, écrivait-on naguère, le trésor est écrasé par une dette flottante qui augmente avec les embarras journaliers ; depuis longtemps, le budget se solde par un énorme déficit qui consume nos ressources et tue notre crédit ; depuis longtemps enfin, l’administration, sujette à toutes les instabilités de la politique et rongée par le cancer de l’empleomania, ne sait ni administrer ses revenus, ni accroître ceux qu’elle possède, ni s’en créer de nouveaux. On recourt à l’emprunt, et on consolide la dette flottante ; mais les intérêts de la dette consolidée détruisent de nouveau l’équilibre du budget, de telle sorte que la dette flottante créée par le déficit engendre à son tour un nouveau déficit plus considérable encore. Surviennent les crises politiques qui augmentent le taux de l’intérêt, et tous ces accidens s’enchaînent les uns aux autres comme les termes d’une progression croissante, au bout de laquelle est la ruine[1]. »

Cependant, si critique que soit la situation, il ne faudrait pas la juger sur le cours actuel de la rente et des fonds espagnols ; comme on l’a remarqué, il indique moins l’insuffisance de l’hypothèque nationale que la crainte de voir anéantir cette hypothèque. On appréhende que, l’Espagne se décomposant en cantons, les provinces autonomes ne gardent pour elles leurs forêts, leurs mines, leurs salines, leurs routes et toutes les richesses renfermées dans leur territoire, qu’elles ne contestent à l’état ses droits et que l’unité financière ne se rompe. L’Espagne pourrait dire aux chefs de son armée : Faites-moi de bonne stratégie, et je vous ferai de bonnes finances. Les généraux qui assiègent Carthagène et qui combattent don Carlos tiennent dans leurs mains les destinées du trésor et de la bourse de Madrid. Que les créanciers de l’Espagne soient assurés que les ressources de l’état ne seront plus dévorées par le budget de la guerre et qu’il sera libre de les consacrer à l’exécution de ses engagemens ; que le travail renaisse avec la sécurité ; que le commerçant ne soit plus exposé à voir ses marchandises retenues pendant des mois dans quelque gare sans pouvoir franchir les lignes

  1. Manifiesto del partido republicano-democratico a la nacion.