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quelques tristes rigueurs commandées par les circonstances, de la nomination de quelques chefs expérimentés et consciencieux, tels que le général Turon, chargé de réorganiser l’armée de Catalogne. En même temps, il s’opérait comme une détente subite dans les inquiétudes et dans les passions. Par l’entremise de leurs caudillos, revenus d’exil, les partis ont décrété une trêve et promis leur appui au ministère dans son œuvre de réparation. L’état moral du pays s’est amélioré, sans que le gouvernement ait abusé des pleins pouvoirs que lui avaient votés les cortès. Il n’a prohibé que les appels à la violence et les commentaires indiscrets ou malveillans sur les opérations des généraux dans le nord ; mais il a respecté scrupuleusement le droit de réunion et d’association, et poussé les égards pour la liberté de la presse jusqu’à lui permettre de glorifier don Carlos ou d’émettre des vœux pour l’avènement d’Alphonse XII. Jamais dictature ne fut si libérale ; comme l’a dit Mme de Staël, « on n’a point recours au despotisme quand on a pour soi l’opinion. » Il est regrettable que l’Europe n’ait pas encore rendu témoignage à un gouvernement qui mérite si bien de la civilisation, ni rétabli ses rapports officiels avec lui. Tant d’indifférence ou tant d’hostilité ne s’explique que par des visées secrètes qui attendent des occasions. Ne serait-on pas encore dégoûté dans certains pays de rêver des couronnes en Espagne ?

Le gouvernement de la république espagnole a déjà beaucoup fait, il lui reste encore davantage à faire. Où qu’il porte ses regards, il aperçoit des ennemis à combattre, sans parler des cuisans soucis que lui donne Cuba, dont la révolte s’éternise et que convoite un puissant voisin. La capture d’un bâtiment flibustier qui arborait le pavillon des États-Unis menace d’ajouter de nouvelles difficultés à toutes celles que depuis longtemps suscite à la mère-pairie la reine des Antilles. Il faut souhaiter que la sagesse du cabinet de Washington et du sénat américain donne à cette querelle un pacifique dénoûment. Sans contredit, l’Espagne a de bonnes raisons à faire valoir ; mais, quand on n’a pas les bras libres, a-t-on le droit d’avoir raison ? Castillans ou Andalous, il est des Espagnols dont l’intrépide confiance attend de toutes les disgrâces des conséquences favorables ; leur optimisme bat monnaie avec leurs malheurs. On en connaît, par exemple, qui regarderaient la banqueroute comme un bienfait, parce que les capitalistes, refusant désormais leur argent à un gouvernement insolvable, le reporteraient dans les entreprises agricoles et industrielles qui chôment faute de capitaux. D’autres ne craignent pas d’affirmer qu’une guerre entre leur pays et la république étoilée aurait cet heureux résultat de mettre un terme aux divisions des partis, de les réunir tous dans un commun enthousiasme. Ce se-