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M. Castelar le remplaça ; il arrivait à son heure. Sa politique, longtemps traversée par le fanatisme de son parti et par le malheur des circonstances, avait pour elle le vœu national, l’espérance des gens de bien, le repentir de plus d’un révolutionnaire détrompé ; elle pouvait seule défendre contre ses propres fautes la république compromise et déconsidérée. Dès le 30 juillet, il s’était écrié avec un généreux courage, qui fut taxé d’imprudence : « Je désire que la république soit fondée par les républicains ; mais je désire aussi qu’elle se fortifie en empruntant aux partis conservateurs cet esprit de gouvernement grâce auquel ils nous ont si souvent vaincus et éliminés de la vie publique dans toute l’Europe. N’êtes-vous pas frappés de ce phénomène, messieurs les députés ? Les partis avancés, auxquels nous nous faisons gloire d’appartenir, sont des météores fugitifs et disparaissans. Ils règnent quelques mois en Italie, à Vienne, à Francfort, un an à peine en France, quelque temps en Espagne, et s’évanouissent tout à coup, pareils à une comète sanglante, chassés non par leurs ennemis, mais par leurs propres passions, par leurs erreurs, par leurs intempérances et surtout par leurs fatales entreprises contre eux-mêmes. — Nous autres, républicains, poursuivait-il, nous tenons du prophète plus que du politique, l’idéal nous est cher, et nous méprisons l’expérience ; nous embrassons du regard le vaste ciel de la pensée et nous tombons misérablement dans la première fondrière qui se trouve sur notre chemin. Il en résulte que nous laissons aux ennemis des partis progressifs l’honneur de fonder les idées progressives, comme le juif saint Paul fonda le christianisme, comme le monarchiste Washington fonda la république de l’Amérique du Nord. Tout ce que nous avons conçu et annoncé, ce sont les conservateurs qui l’ont réalisé. Qui a proclamé l’affranchissement de la nation hongroise ? Un républicain, Kossuth. Qui l’a réalisé ? Un conservateur, Deak. Qui a demandé l’abolition du servage en Russie ? Des républicains. Qui l’a réalisée ? Un empereur. Qui a rêvé et prêché l’unité italienne ? Un républicain, Mazzini. Qui l’a créée ? Un conservateur, Cavour. Qui a projeté de réunir l’Allemagne en corps de nation ? Les républicains de Francfort. Qui a fait ce qu’ils n’avaient pas su faire ? Un impérialiste, un césarien, le prince de Bismarck. Qui a réveillé l’idée républicaine trois fois étouffée en France ? Des poètes et des orateurs. Qui l’a consolidée et mise à l’abri des coups d’état comme des coalitions monarchiques ? Un conservateur, M. Thiers. Ne démentirons-nous jamais cette loi de l’histoire, et pensez-vous nous réhabiliter par votre folie, par vos cantons, par vos soulèvemens militaires, par votre démagogie prétorienne sans nom, sans titre et sans responsabilité ? Non, n’attendez de ces criminelles dé-