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de la sagesse. On s’attendait que M. Figueras garderait la présidence du conseil ; mais, à force de traiter avec les partis pour en obtenir des concessions et l’ajournement de leurs projets, il avait fait tant de promesses, contracté tant d’engagemens secrets, qu’il ne s’appartenait plus ; tout le monde avait hypothèque sur lui, A peine eut-il essayé de former un ministère, il en sentit l’impossibilité, et quitta brusquement Madrid et l’Espagne. L’ostracisme volontaire est de toutes les institutions espagnoles la mieux établie et la plus appréciée de tous les partis. L’opinion publique, qui est indulgente, se contente de cette expiation que le coupable s’impose à lui-même ; elle n’exige point qu’il purge sa contumace. Il n’est pas en Espagne d’homme politique qui n’ait eu des mésaventures, et qui après un échec n’ait disparu furtivement ; il donnait ainsi au malheur le temps de l’oublier.

M. Pi y Margall se chargea de la tâche ardue que déclinaient tous ses collègues. Il était le candidat désigné des illusions qui régnaient encore, et de l’émeute qui grondait aux portes du congrès. Il exposa son plan de conduite en ces termes : politique de défiance ou d’hostilité à l’égard des anciens partis, politique de conciliation entre toutes les fractions du parti républicain fédéraliste. Jamais programme ne fut plus chimérique. Quel accord pouvait-on établir entre les admirateurs sincères des États-Unis et les énergumènes qui considéraient l’anarchie comme la plus glorieuse des institutions, entre les partisans d’un gouvernement fort et sérieux et les apôtres de l’émeute, entre ceux qui demandaient le rétablissement de la discipline militaire et ceux qui entonnaient des hymnes à la sainte indiscipline et proclamaient l’autonomie du soldat ? Autant valait rêver cet âge d’or « où le narcisse fleurissait sur les aulnes, où le loup paissait avec les brebis. »

Très intolérant avec les uns, très accommodant avec les autres, M. Pi rejetait de la sainte alliance tous les nouveaux convertis qui avaient contracté avec la république un mariage de raison ; il y souffrait tous les fous et tous les bateleurs de la veille, du jour et du lendemain. La communauté qu’il voulait établir reposait sur un mot, que chacun comprenait à sa façon. Passe encore s’il eût promulgué deux décrets portant l’un que tout Espagnol était tenu sous peine de la vie de se dire fédéraliste, l’autre que sous peine de mort il lui était défendu d’expliquer ce qu’il entendait par là. Caractère pur, esprit distingué, M. Pi appartient, dit-on, à la race des sectaires flegmatiques, seule espèce d’hommes qui soient incapables de se rendre à l’évidence. Sourd aux objections comme aux leçons des événemens, il ne s’émouvait de rien ; son sourire et sa logique possédaient les secrets de l’avenir. Ses adversaires, modifiant un