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sur elle. Les membres les plus modérés du cabinet maudissaient leurs adversaires de leur avoir mis les armes à la main. Pour avoir raison des coalisés, ils avaient dû accepter le secours des clubs, et contracter envers des hommes qu’ils redoutaient des obligations dont ils sentaient tout le poids. Le général Contreras, qu’il avait fallu rappeler de Catalogne, où sa présence mettait le comble au désarroi de l’armée, avait mis l’émeute à profit pour se refaire une popularité. Il s’était montré à cheval dans les endroits les plus exposés, et le seul coup de feu qui eût été tiré avait été dirigé contre son escorte. Le jour suivant, il fit annoncer par les journaux urbi et orbi qu’au moment où il se rapprochait des avant-postes ennemis un généreux inconnu, se jetant à la tête de son cheval, l’avait supplié de se retirer parce que les réactionnaires avaient juré sa mort. Il demandait à son sauveur de se faire connaître. On eût dit César s’enquérant du nom de l’avertisseur charitable qui l’engageait à se défier des ides de mars.

Quelques jours plus tard, le général tint chez lui un conciliabule auquel assistaient les principaux meneurs du parti intransigeant ; d’importantes résolutions y furent prises. On décida que le pouvoir exécutif, suspect depuis longtemps de mollesse et de tiédeur, devait, sous peine de démériter du peuple, se renforcer de quelques esprits avancés qui le mettraient au pas. On décida encore qu’une confédération ne se peut constituer sans l’existence préalable des états qui sont appelés à se confédérer, que par suite il était indispensable que les provinces n’attendissent pas l’élection des cortès pour proclamer leur indépendance. On s’aboucha aussitôt avec le gouvernement, afin d’obtenir de lui qu’il épurât son personnel et inaugurât une politique franchement révolutionnaire. Il ne pouvait se plaindre qu’on ne l’aidât pas dans sa besogne, — on lui apportait le texte de quarante-sept décrets qu’il eût suffi de faire insérer dans la gazette officielle pour que l’Espagne se trouvât délivrée en un tour de main de tous ses impôts, de toutes ses institutions, et ramenée à l’état de nature. Le ministère résista de son mieux aux ordres qui lui étaient intimés, il demeura fidèle à son plan de ne pas engager l’avenir avant la réunion de la constituante, et il n’accorda qu’une très faible partie des destitutions qu’on lui demandait ; mais il cherchait à se faire pardonner ses résistances par ses ménagemens. Il se voyait contraint de laisser à ses sauveurs une dangereuse liberté d’action et de fermer les yeux sur leurs menées. Dès lors ils purent amasser la poix et l’étoupe, préparer de longue main ce vaste incendie dont les flammes deux mois plus tard faillirent dévorer l’Espagne.

La journée du 23 avril eut une autre conséquence, qui n’inquié-