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battant les libertés publiques, en s’alliant avec l’église, lèguent à Hugues Capet et à ses successeurs la notion du despotisme, car déjà aux yeux des petits-fils de Clovis le pouvoir royal était ce qu’il fut pour Louis XIV, non plus une délégation des peuples, mais un don du ciel, un privilège immense et inviolable qui absorbait tous les droits, élevait le souverain au-dessus des autres hommes et en faisait comme l’image de la Divinité sur la terre.

M. Deloche, en bien des pages de son remarquable livre, mentionne les travaux des Allemands ; il les discute toujours avec impartialité, les réfute au besoin et les cite quelquefois avec éloge. Quant à nous, sans chercher le moins du monde à contester leur mérite, nous nous sommes demandé plus d’une fois si nos voisins d’outre-Rhin ont bien réellement sur nous, dans les choses de l’érudition, la supériorité que certains esprits se plaisent à leur attribuer. Il y aurait là le sujet d’une curieuse étude, et nous pensons, en laissant de côté tout amour-propre national, que la comparaison ne serait pas à notre désavantage. L’Allemagne en effet, parmi les publications d’ailleurs fort remarquables de ses académies et de ses sociétés savantes, compte-t-elle des collections qu’elle puisse opposer à cette immense encyclopédie, où elle n’a cessé de puiser depuis cent cinquante ans et qu’on appelle les Mémoires de l’Académie des Inscriptions ? En fait de recherches patientes et profondes, a-t-elle fait mieux que l’Histoire littéraire de la France, les préfaces des Ordonnances, ou celles du recueil de dom Bouquet ? Elle a de savans éditeurs de textes mérovingiens et carlovingiens, mais Baluze les a précédés de près de deux siècles ! Elle a de très remarquables lexicographes, mais nous avons Du Cange, et lui seul nous suffirait contre tous ; elle a d’éminens orientalistes, mais nous avons Champollion, Sacy et Eugène Burnouf ; elle a de savans annalistes ecclésiastiques, mais nous avons Mabillon, Lecointe, Martene, Fleury, Labbe, d’Achéry, Claude de Vert, et toute l’école des bénédictins ; elle a sans aucun doute réalisé depuis un siècle de grands progrès dans les diverses branches des études historiques, mais elle n’est venue qu’après nous dans les voies que nous lui avions ouvertes, et s’il fallait établir un parallèle pour notre temps même et dans la spécialité des travaux dont nous nous occupons ici, nous pourrions en toute confiance opposer à la science germanique des Merkel, des Grimm, des Gaupp, des Eichhorn, et même de MM. Roth et Georg Waitz, les proceres de l’érudition transrhénane, la science gauloise des Naudet, des Guérard, des Pétigny, des Lehuërou, des Pardessus, des de Rozière, en ajoutant à ces noms celui de M. Deloche, qui comptera désormais aux premiers rangs des autorités de la critique historique contemporaine.

Charles Louandre.

Le directeur-gérant, C. Buloz.