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risation provisoire en une augmentation définitive de la circulation fiduciaire qui permettrait : 1° de fournir des avances sur les nombreuses lettres de gage dont le placement est devenu aujourd’hui à peu près impossible, 2° de faciliter la liquidation ou la fusion des trop nombreuses institutions de crédit qui constituent l’embarras du moment, et 3° de procéder à la construction de chemins de fer pour le compte de l’état. Cette extension de la circulation, ajoute le projet de loi, s’accomplirait à l’aide d’un emprunt en espèces qui seraient déposées à la banque. Voilà le projet, et la somme à emprunter est de 80 millions. Il est douteux que cette somme suffise pour conjurer une crise dont les proportions ne sont pas même connues : tout au plus aurait-on ainsi quelques nouveaux chemins de fer sans trafic et de plus grosses sociétés de prêt dont les cliens sont presque tous insolvables. Une réforme plus urgente aurait dû au moins précéder celle-là, c’est un autre régime pour la bourse de Vienne, livrée jusqu’à présent à des intermédiaires irresponsables, sans titre régulier et n’inspirant qu’une médiocre confiance. La haute banque a exprimé là-dessus un vœu formel : elle voudrait une compagnie d’agens de change pourvus de charges, avec un fort cautionnement comme garantie et un syndicat pour compléter les effets de cette responsabilité. Qui le sait? peut-être avec ce moyen de défense les chocs récens portés au crédit eussent été évités ou du moins amortis.

Mais ce ne sont là que des palliatifs contre un mal profond; ce mal, c’est le cours forcé, la lèpre moderne des deux mondes : elle dévore l’Autriche depuis plus d’un siècle, la Russie depuis soixante ans, l’Italie depuis qu’elle s’est agglomérée, les États-Unis depuis la guerre du sud; on peut dire qu’elle n’a point lâché jusqu’ici une seule des nations dont elle a fait sa proie, et je ne parle que des nations qui ont un rang, des finances qui comptent. Toutes se débattent péniblement et avec des convulsions qui trahissent une douleur secrète. La France n’est atteinte que depuis quatre ans : faisons tout au monde pour que le mal n’empire pas. Nous le portons gaîment avec des finances qui se font un jeu des milliards et des ministres qui manient ces milliards avec une rare habileté; nous avons fait tout cela avec le cours forcé, peut-être nous y a-t-il aidés, mais malgré tout, débarrassons-nous au plus vite de cet auxiliaire; il ne sert qu’à titre onéreux, s’invétère partout où il s’est introduit, et en fin de compte fait payer chèrement les facilités précaires qui ont accompagné ses débuts.