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naturellement en courant plus de risques pour le capital; on a recherché les affaires aléatoires, les emprunts avec tirages au sort, les paris si multipliés aujourd’hui, enfin tout ce qui pouvait prêter à des illusions décevantes. C’est à ce titre qu’ont été imaginés des chemins de fer sans trafic, des sociétés de construction sur des terrains à émerger, une foule de compagnies industrielles et commerciales roulant sur des opérations imaginaires, et surtout des banques pour tous les besoins nés ou à naître, banques de prêts et d’échanges offrant des avances sur un amas de titres dont la solidité était elle-même à vérifier. Tout cela trouvait des acquéreurs et montait au feu des enchères avec un capital incessamment grossi. Pas un des porteurs qui ne crût avoir une fortune en poche au lieu de chiffons de papier, pas un non plus qui eût tenu compte de ce sage conseil de Franklin, qu’on ne saurait trop répéter : « si quelqu’un vous dit qu’on peut s’enrichir autrement que par le travail et par l’économie, ne l’écoutez pas, c’est un empoisonneur. »

Comme c’était à prévoir, une crise financière est venue troubler ces calculs et faire crouler ces rêves : cette crise a éclaté au mois de mai, presqu’au jour de l’ouverture de l’exposition. On se souvient des ruines qui l’ont accompagnée; elle a fait des milliers de victimes dans les familles les plus humbles, et n’a pas épargné celles dont la situation semblait le plus solidement assise : banques, sociétés de crédit ou d’industrie, rien n’a tenu devant le souffle de destruction qui passait alors sur les existences et les ramenait toutes au même niveau. Voici bientôt six mois que cette liquidation dure, et elle ne semble pas plus avancée qu’au premier jour. Il a fallu, sous peine d’aggraver le désastre, user d’atermoiemens, consentir même à des avances pour dégager les bonnes valeurs de l’étreinte que leur faisaient subir les mauvaises, sauver ce qui pouvait être utilement sauvé. On a ainsi obtenu une trêve, un renouvellement d’échéance, pendant lequel les positions ont été maintenues tant bien que mal; on voulait surtout que l’exposition produisît tous ses effets, animât la ville, remplît les hôtels, peuplât les restaurans et fît rouler les voitures. C’était de l’argent comptant, qui n’était pas à dédaigner dans cette période de détresse où les régnicoles, produisant peu et consommant beaucoup, attendaient que la manne leur vînt du dehors. Pour prendre d’autres mesures, on attendait que le palais du Prater eût fermé ses portes; c’est ce qui vient d’arriver.

On sait qu’à la suite d’une première résolution le gouvernement autrichien avait autorisé la Banque nationale à dépasser, à raison des besoins qui s’étaient déclarés, la limite statutaire de ses émissions; d’après les dernières nouvelles, il aurait converti cette auto-