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Vienne qu’elle a en vue, le Vienne de ses rêves et de ses ambitions. Ce rêve a même un nom, on l’appelle Donaüstadt, qui sonne à l’oreille mieux que l’ancien et substitue un grand fleuve à une petite rivière. Donaüstadt est donc une capitale à bâtir en face et en remplacement de la capitale bâtie; elle occupera tous les terrains conquis ou à conquérir sur le Danube, et on la prépare au moyen d’immenses travaux pour le redressement du fleuve; ces travaux achevés, on aura assez d’espace pour y loger plusieurs millions d’habitans. Un rêve, ai-je dit, — c’est plutôt une folie : en attendant, les services les plus urgens sont ajournés dans le Vienne réel, le Vienne qui est debout. Les fonds dont la municipalité dispose vont tous s’engloutir dans un sol à créer pour cette ville de fantaisie qui ne peut s’élever près de l’autre qu’à la condition de la ruiner ou d’être ruinée par elle. La municipalité entre pour un tiers de la dépense dans ce duel insensé, la régence au conseil provincial pour un autre tiers, et l’état pour le dernier tiers, c’est comme une contagion. Un Français, M. Castor, est chargé de l’entreprise et la conduit très habilement; mais supposons-la réalisée, les terrains en état, les maisons construites, où trouver les millions d’habitans? Cet élément, le temps seul le donne, et, avant que de tels chiffres fussent atteints, il aurait fait justice de travaux excessifs et prématurés.

Ce n’est pas le seul obstacle qu’auront à rencontrer ces spéculations chimériques : la nature des lieux leur en présentera d’autres. On a pu éloigner le Danube en lui creusant un nouveau lit et en comblant un certain nombre de ses bras; c’était un jeu pour des ingénieurs; mais il est un point qui met leur science au défi, c’est le niveau du fleuve, qui s’élève parfois entre 2 et 3 mètres au-dessus du niveau du sol, composé de sables et de galets, et si perméable que les eaux envahissent les fouilles dès que les crues, fréquentes et soudaines, atteignent 2 mètres. De là des irruptions imprévues qui suspendent ou endommagent les travaux, dégradent les chaussées, et en se répétant deviennent une cause permanente d’insalubrité. N’a-t-on pas vu en juin dernier un violent orage causer de grands dégâts dans la section française de l’exposition, inonder les caves du quartier construit en face de la gare du chemin de fer du Nord, suspendre le service du gaz et laisser sur son passage les germes du choléra et d’une fièvre typhoïde? Ce n’est pas en vain qu’on remue le sol sur une large échelle, surtout un sol comme celui du Danube, formé d’alluvions que les siècles y ont déposées, et qui sont comme un filtre régnant à de grandes profondeurs.

Pour trouver un motif à un engouement si peu justifié, c’est toujours à l’esprit d’aventures et aux habitudes aléatoires qu’il faut s’en prendre. Ici encore on retrouve cette portion de la population de