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cet éblouissant bazar avec les produits de l’industrie et du sol de l’Europe. L’originalité de l’exposition de Vienne était en grande partie dans ce concours : toutes les civilisations du globe y étaient représentées par des types nombreux, hommes et choses; on y voyait des vêtemens de toutes les formes et des visages de toutes les couleurs; on y parlait presque toutes les langues. À de certaines heures, dans l’enceinte et aux abords du palais, on aurait pu se croire dans une véritable Babel. Ce qui frappait plus encore que ces visiteurs venus de loin, c’était le peuple même de Vienne, heureux de faire les honneurs de chez lui et bien décidé à en prendre largement sa part, envahissant les tramways, qui de tous les quartiers de la cité viennent aboutir au Prater comme dans l’affluent commun, au milieu d’un tourbillon de poussière et d’un vacarme dont on ne saurait se faire une idée, puis se dispersant dans les cafés, dans les brasseries, dans ce qu’on nomme les restaurations, partout où il avait à boire et à manger avec ou sans accompagnement d’orchestre. Une fois campés sur place, ces braves gens ne la quittaient guère, si ce n’est pour aller essayer, à quelques pas plus loin, soit une autre bière, soit un autre ragoût de veau. D’essai en essai et de restauration en restauration, les heures s’écoulaient, et chacun s’en retournait le soir avec la conscience d’avoir bien rempli sa journée.

Sans exagération, telle est la vie qu’a menée pendant cinq mois à peu près une portion au moins du peuple et des bourgeois de Vienne. Il semblait qu’il n’eût eu d’autre souci que le rendez-vous industriel auquel le monde était convié, et que tout travail devait s’effacer devant les satisfactions qu’on s’en était promises : d’ailleurs les étrangers allaient abonder, donner amplement à gagner, et comment mieux placer leur or que dans des surcroîts de consommation? Une si belle ville, tant de monumens, comment n’y pas venir quand elle ouvrait généreusement ses portes? En effet, Vienne est une ville à voir, surtout dans les quartiers construits sur les anciens remparts et le long de ce boulevard annulaire que l’on nomme les Rings. Bon gré, mal gré, l’œil est frappé de la grandeur du spectacle qu’on a sous les yeux; on ne sait qu’admirer le plus de ces belles avenues ou des constructions monumentales qui les bordent. Sont-ce donc là des palais de souverains? Non, ce sont tout uniment des hôtels ouverts aux voyageurs ou des maisons que de simples particuliers ont fait bâtir pour leur usage; mais quel luxe de proportions dans les voies publiques et quel faste de décorations dans ces habitations privées! Il suffit de dire que les Rings dont il est question n’ont pas moins de 61 mètres de largeur, et qu’ils comprennent deux trottoirs, deux chaussées à voitures pour desservir les hôtels publics ou les maisons privées, une allée pour