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quelques portraits des princes d’Orléans ou de leurs serviteurs et de leurs amis, parmi lesquels un portrait, de Mme de Genlis déjà sur le retour, une brune piquante qui se dispose à devenir vieille et qui ne sait pas trop comment elle s’y prendra, ce qui explique la vivacité un peu songeuse et mélancolique de son regard. Bref, il n’est à peu près resté à Randan que ce qui était indispensable pour qu’une telle demeure ne fût pas absolument dégarnie et vide.

Plusieurs parties de ce château de Randan sont dignes de la plus sérieuse admiration; de ce nombre sont la salle de réception, qui est bien aussi, si nos souvenirs sont exacts, la salle à manger, et les cuisines. La grande salle est un vaste carré allongé, divisé par des piliers aux surfaces revêtues de stuc, comme le sont aussi les parois des murailles, d’un aspect vraiment royal, qui fait un curieux contraste avec la modestie relative et la réelle simplicité des appartemens destinés à l’usage particulier des habitans du château. Les cuisines destinées à préparer les festins servis dans cette salle ne lui cèdent en rien en beauté, il est bien entendu seulement que cette beauté est du genre qui convient à des cuisines. C’est un vaste sous-sol composé d’une longue succession d’offices claires et admirablement aérées qui s’ouvrent sur une sorte de large rue légèrement circulaire qui permet aux serviteurs d’aller de l’une à l’autre, ou d’aller à celle où ils ont particulièrement affaire sans en traverser aucune. Le travail culinaire se trouve ainsi divisé avec une méthode d’une perfection irréprochable, de manière que les divers emplois qu’exige cette branche de l’activité humaine soient isolés, et ne puissent se confondre et se nuire, de manière aussi (disposition importante et bien comprise) que les émanations contraires et ennemies résultant de ces diverses préparations gastronomiques ne puissent se mêler et altérer la saveur propre à chacune. Jamais on n’a eu à ce point le sentiment de ce que doivent être des offices, et il n’y a rien à citer en ce genre à côté des cuisines de Randan, sauf les cuisines de Chenonceaux, qui sont aussi belles, plus belles même peut-être comme construction, mais qui sont bien loin d’être aussi merveilleusement adaptées à leur but. Pendant que le domestique qui me montre le château m’ouvre cette succession d’offices en me désignant chacune par le nom de son emploi, boulangerie, rôtisserie, pâtisserie, confiserie, etc., je pense aux noces du riche Gamache et aux festins asiatiques célèbres par la Bible, et je me dis que ces banquets fameux n’ont jamais été préparés dans des cuisines aussi parfaitement tendues.

Le château, qui est d’origine très ancienne et qui a été successivement possédé par plusieurs familles nobles, entre autres celle des Polignac, n’a cependant pas d’histoire ; au moins ma mémoire