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Commentry, qui font peur au regard et invitent à fuir! La stérile, mais belle végétation des régions montagneuses m’accompagne partout sur ma route, et devient encore plus épaisse à mesure que j’approche de Gannat, si épaisse qu’elle envahit même les terres cultivées, et résiste par la force secrète du sol aux efforts de l’homme. Le genêt aux charmantes fleurs jaunes usurpe des champs entiers en plus grande abondance qu’on ne le rencontre ailleurs, même dans les bruyères les plus arides, ou se suspend en fourrés aux flancs des gorges; mais il faut voir comme aux heures du crépuscule le jaune de ces jolies fleurs sauvages, triomphant par le départ de la lumière, brille d’un éclat vif et doux. Toutes les autres couleurs se sont éteintes, assombries, dénaturées, celle-là seule résiste, et, faisant sur la terre une sorte de lumière, permet à l’œil de prolonger ses visions du jour lorsque tout à l’entour est déjà, pour ainsi dire, revêtu de nuit. Voilà le paysage en-deçà de Gannat; au-delà, dès que nous dépassons les faubourgs, c’est la frange même de l’Auvergne, ou mieux encore le pan flottant de son vert manteau que nous foulons. Quelques tours de roue, et nous voici à Aigueperse, au sein de la Limagne au renom de fertilité. Eh! sans doute l’œil chercherait en vain dans cette plaine fameuse, au moins dans la partie que nous avons parcourue, cet infini de moissons que célébrait dans les jours anciens l’évêque arverne Sidoine Apollinaire, car la moderne variété des cultures prive l’œil de la majestueuse douceur du spectacle de cette mer d’épis ondoyante sous les souffles de l’air; néanmoins le pays conserve un caractère pittoresque, seulement ce pittoresque s’humanise un instant avant de reprendre sa sauvagerie. Ici la végétation fertile triomphe, opulente de feuillages, modeste de formes. Quelle jolie rangée de peupliers par exemple que celle que l’on rencontre à moins de demi-heure de Gannat, et comme leur feuillage caresse le regard de l’éclat mat et soyeux de sa verdure! De loin, on dirait que la route est tendue de deux longues bandes de velours vert que le vent soulève, et dont il varie en les soulevant les reflets nuancés. Pourtant, en dépit de la riante modestie du paysage, c’est bien l’Auvergne, car voici à l’horizon le Puy-de-Dôme qui dresse sa tête pointue et la gigantesque bosse de son épaule. Où qu’on aille dans cette région, on ne peut l’éviter; sur la route d’Aigueperse, sur celle d’Effiat, de la terrasse du château de Randan, partout nous l’apercevons qui semble nous faire signe d’entrer dans cette terre promise du pittoresque dont il est le gardien.

La petite ville d’Aigueperse se compose de deux lignes parallèles dont une grande route forme l’intervalle, disposition fréquente en Limousin, dans la Marche, en Auvergne, et qui ne laisse pas que d’être un peu bizarre dans sa simplicité, d’ailleurs plus salubre, plus propre et plus riante que toute autre, puisqu’elle rend inutiles les en-