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yeux leurs visions et leurs images en face des tombeaux des ducs Louis et Charles, — mais l’ombre de la vieille abbaye en recouvre bien d’autres qui n’attendent pour se réveiller qu’une mémoire sympathique. Contre un des murs de l’église, sur les panneaux de je ne sais quel vieux meuble ecclésiastique, je vois de vieilles peintures aux trois quarts effacées dont l’une a la prétention de représenter l’image de saint Mayeul. On peut fort bien n’être pas précisément un ignorant et ne pas savoir qui fut saint Mayeul; nous-même nous ne savons guère de lui que ce que nous en ont appris la chronique du moine Eudes et surtout celle de Raoul Glaber. C’en est assez pour que ce souvenir nous arrête un instant, d’abord parce qu’il est celui d’un des personnages les plus considérables de la seconde moitié du Xe siècle, ensuite parce qu’il se rapporte d’une manière très particulière à l’histoire locale de Souvigny. Saint Mayeul est le quatrième abbé de Cluny, et, autant qu’on en peut juger à la distance où nous sommes, il semble que c’est à lui qu’il faut attribuer l’organisation véritable du célèbre monastère et qu’il ait rempli dans son histoire le rôle de frate Egidio dans l’ordre naissant de Saint-François et celui d’Acquaviva dans l’institut des Jésuites. Son image en effet, telle que nous la présente à diverses reprises l’inestimable miroir de Raoul Glaber, est non pas celle d’une âme inventive ou munie de dons brillans, mais celle d’un homme de vertu patiente, de mœurs discrètes, de parole prudente, de stricte discipline, un homme de devoir en un mot, fait d’attention et de scrupule, par conséquent éminemment propre au rôle d’organisateur et d’administrateur des âmes. Ce qui prouve mieux encore que les conjectures éveillées en nous par nos lectures que ce fut là le génie propre de saint Mayeul et que c’est bien à lui que revient le titre d’organisateur de Cluny, c’est l’immense renommée d’administrateur monastique qu’il s’était acquise de son vivant. Si grande était cette réputation que le roi Hugues Capet, mécontent des mœurs et de la discipline de ses monastères du nord, fit mander en Bourgogne l’abbé Mayeul pour qu’il vînt les réformer. L’abbé était alors très avancé en âge, il allégua son extrême fatigue, qui était telle qu’elle ne lui permettrait peut-être pas d’achever le voyage. Hugues Capet revint à la charge, et cette fois il fallut céder. L’abbé se mit en route; mais, arrivé à Souvigny, il prit le lit et rendit l’âme entre les bras de son ami et de son disciple saint Odilon, auquel il légua sa tradition, et qui pendant cinquante ans poursuivit sans fléchir l’œuvre commencée par Mayeul. Nous n’avons pas craint de nous arrêter sur ce souvenir, d’abord parce qu’il y a toujours plaisir à rencontrer la trace d’un homme de bien, ensuite parce que cet homme de bien fut précisément du genre de ceux qui nous seraient fort nécessaires à l’heure présente, c’est--