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Denis, surtout de ceux de Germain Pilon. En vérité ce sont les mélodies joyeuses de l’épithalame nuptial, et non pas les accens lamentables des cantiques funèbres, qui mériteraient de retentir autour de ces couches si bien parées, où sous un magnifique dais gothique ou grec des dormeurs princiers semblent chercher dans le sommeil la réparation des voluptés de la vie. Ce point de perfection, le XVe siècle seul a su l’atteindre et s’y maintenir ; seul il a su garder l’équilibre entre la magnificence dont ces monumens sont susceptibles et le sentiment austère dont ils ne doivent pas s’écarter. Aussi riche qu’en soit le décor, on n’oublie jamais en regardant un de ces monumens que ce n’est après tout qu’un tombeau, c’est-à-dire une fort étroite demeure, mesurant quelques pieds à peine, et dont ne pourrait se contenter le plus humble charbonnier vivant. C’est bien la mort que nous contemplons et rien que la mort, car les artistes de cette époque, avec un bon goût tout chrétien, ont toujours eu soin d’éviter ces simulacres de la vie que le XVIe siècle inventa et varia pour échapper à la monotonie de l’attitude. Jamais le mort n’est représenté agenouillé et en prière, ou se soulevant dans une attitude de repos ; invariablement il reste raide étendu sur sa couche de marbre comme cette effigie du duc Louis II, que l’artiste a représenté revêtu de son armure militaire, ainsi qu’il convenait de le faire pour un homme qui guerroya tant pendant sa vie.

En recherchant dans les divers historiens du XIVe siècle les jugemens qu’ils avaient portés sur le duc Louis II, je me suis aperçu une fois de plus que les anciens étaient fort sages lorsqu’ils se bornaient à récapituler les actions d’un personnage pour en donner une image impartiale, laissant ainsi le lecteur libre de conclure à son gré. Christine de Pisan a tracé de Louis II un portrait hyperboliquement flatteur, où la louange est toute parée de l’onction propre au style mystique. « Que dirons-nous de ce bon duc, sinon qu’il fut un vase de bonté, de clémence, de bénignité et de douceur ? » D’ordinaire Christine de Pisan n’est pas chiche de louanges envers les princes et seigneurs ; mais celles qu’elle décerne à Louis II sont telles qu’il ne tient qu’à nous de croire que ce prince s’approcha de la perfection plus qu’aucun autre ne le fit jamais. Ne serait-il pas possible cependant de trouver la raison de cette admiration sans mélange dans les lignes qui terminent ce portrait si flatteur ? « Ce bon duc est le réconfort des pauvres gentilsfemmes et de toutes celles qui sont dignes de compassion : il les aide de son bien, présente leurs requêtes au conseil et les rappelle, leur procure bien et aide, soutient leur droit de sa parole et se montre leur défenseur en toutes choses. De cela, je puis parler par droite expérience, car j’ai invoqué son appui, et son appui ne m’a pas manqué ; que le benoît fils de Dieu veuille lui en tenir compte ! »