Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la France qui furent élevées au XIVe et au XVe siècle, et qui sont dites églises de style plantagenêt. Style et émotion, tout a changé ; ici le monde de la puissance et de la gloire apparaît seul ; le tombeau du duc Charles se détache avec une liberté singulière au sein de l’espace, qui semble se dilater pour lui faire place, exactement comme une foule s’écarte devant un personnage princier pour lui créer un isolement respectueux. Voilà bien la double image de la France au commencement et à la fin du moyen âge : dans les bas côtés, humble, petite, anxieuse, comme transie et se cherchant silencieusement dans une attitude de prière avec le monde monastique de l’aurore de la dynastie capétienne, — dans le transept, le chœur et les chapelles, glorieusement lasse de ses longues épreuves, mais fortifiée par ses fatigues, et se retrouvant par ses égaremens même dans toute sa souveraineté avec le monde chevaleresque du XVe siècle.

Les deux seuls tombeaux aujourd’hui subsistant à Souvigny sont ceux de Louis II, troisième duc, et de Charles Ier, cinquième duc de Bourbon. Celui de Louis II, d’un très beau marbre blanc, a été affreusement mutilé. L’animal qui, selon la coutume du temps, reposait aux pieds du prince, coupé en deux, a perdu sa partie antérieure, en sorte qu’on ne sait plus si c’est un chien ou un lion. Les pieds de Louis II ont été amputés, le visage a été défiguré à ne plus présenter forme humaine, et l’effigie de la duchesse Anne, héritière de Forez, n’a pas été plus heureuse que celle de son mari. Quant aux sculptures qui ornaient les faces du monument, elles ont été effacées ; mais en dépit des mutilations, ce qui reste de ce tombeau suffit pour le faire reconnaître digne de ce XVe siècle que nulle autre époque n’a surpassé dans ce genre de monumens. L’âge classique par excellence des mausolées, c’est celui qui s’ouvre avec les tombeaux de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, et qui se ferme avec le monument des enfans de Charles VIII que l’on voit dans la cathédrale de Tours. Les monumens des époques précédentes parlent quelquefois plus directement à l’âme, mais rarement ils approchent du point de perfection où cette branche de l’art pouvait prétendre, et souvent même ils ne le soupçonnent pas. Les mausolées de la renaissance ont plus de faste et de magnificence, plus de variété et de complexité ; mais cette magnificence est souvent fracas, et cette variété est souvent surcharge. Le point de perfection que ne soupçonnaient pas les monumens funèbres antérieurs au XVe siècle est dépassé, la pensée de l’artiste dévie, et, semblant oublier le caractère précis et jusqu’au nom sévère du monument qu’il doit élever, il cherche à faire une œuvre belle et curieuse plutôt qu’un tombeau. Tel est en dépit de leur grandeur le défaut des monumens princiers de Brou et des mausolées royaux du XVIe siècle que l’on voit à Saint--