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partenant aux premières années du XVe siècle, présente encore un reste de physionomie de morose moyen âge ; l’autre, dite la chapelle neuve, qui renferme le tombeau de Charles Ier, vaste, profonde, de plein niveau avec le pavé du sanctuaire, toute gaie de la lumière qui l’inonde, porte l’heureuse physionomie de la renaissance, amoureuse d’air et de clarté. Autant peut-on en dire du transept, qui date de la même époque que cette dernière chapelle et qui est un des plus spacieux, des mieux dégagés de la masse de l’édifice, des plus nettement tracés que je connaisse. Enfin à la voûte de ce transept la décadence gothique a suspendu ses festons et ses guirlandes d’un goût équivoque, où se trahit plus d’amour du décor que de souci de l’austérité religieuse. Et cependant, en dépit de ces disparates, ou plutôt à cause même de ces disparates, l’église de Souvigny n’en est pas moins l’édifice le plus considérable qu’il y ait en Bourbonnais, et l’un des plus dignes de conservation qu’il y ait en France[1]. Où trouver ailleurs un miroir aussi exact, ou, pour mieux parler encore, un microcosme aussi complet des évolutions accomplies par l’architecture religieuse du Xe au XVIe siècle ? Ces dissonances ne la rendent pas seulement curieuse au plus haut degré, elles la rendent encore singulièrement sympathique par la variété d’impressions qu’elles éveillent chez le promeneur. Visiter cette église en effet, c’est comme visiter plusieurs églises à la fois, car c’est changer d’émotion avec chacune des parties qui la composent. Promenez-vous sous les bas côtés, et les images d’un temps de ferveur et de ténèbres vont affluer sans effort devant votre esprit. Là, c’est une église monastique dans le sens le plus sévère du mot, humble, étroite, en parfait accord avec les souvenirs qu’elle réveille, ceux d’âmes pieuses, puissantes seulement par la prière et la méditation. Les ombres de saint Mayeul et de saint Odilon errent encore en toute vérité sous cette voûte froide et humide qui, mise en regard de la grande nef et du chœur, donne la sensation d’une crypte sortie de ses profondeurs souterraines et enclavée dans l’église supérieure. Maintenant placez-vous sur le transept de manière à regarder de biais la chapelle neuve, et vous aurez un effet de perspective admirable, le même exactement que présentent les chapelles des églises anglaises ou les églises d’Anjou et du centre de

  1. L’église de Souvigny est encore en assez bon état de conservation, cependant certaines réparations, sans être urgentes, seraient nécessaires. Pendant que j’étais à Souvigny, on m’a rapporté qu’il y a quelques années des sollicitations avaient été adressées à la direction des monumens historiques en faveur de cette église, mais qu’il avait été répondu qu’il fallait perdre tout espoir. Si cela est, cette impuissance de l’état est vraiment fâcheuse, car il n’y a pas de monument qui soit plus réellement historique que celui-là ; mais, si l’état ne peut rien, le clergé de l’Allier ne pourrait-il faire pour Souvigny ce que les clergés de tant de départemens ont fait pour une foule d’édifices relevés par leur soin ?