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plus fanatiques et plus exaltés, trop souvent même avec des plans d’insurrection mûris au chaud soleil de La Mecque ! Il n’est pas besoin non plus « d’entourer de solennités officielles la célébration des grandes fêtes musulmanes. » Cette excessive tolérance, que pourrait apprécier un peuple civilisé, est aux yeux des indigènes une indigne faiblesse et une preuve de notre indifférence en matière religieuse, indifférence qui nous nuit plus que toute autre chose dans l’esprit de ce peuple croyant. Il est dangereux enfin, sous le spécieux prétexte « d’utiliser leur bravoure, » d’augmenter l’effectif des troupes indigènes. L’Arabe et le Kabyle, qui portent au plus haut point le courage personnel et le mépris de la mort, ignoraient jusqu’ici l’ordre dans le combat et la discipline en campagne. Grâce à nous, maintenant ils connaissent notre tactique. Les spahis et les turcos, initiés à nos manœuvres militaires, ont été les instructeurs de leurs coreligionnaires. Nous en avons eu les preuves pendant l’insurrection de 1871. L’ensemble de leurs dispositions sur le terrain, le déploiement en tirailleurs par exemple, l’attaque des convois et des arrière-gardes, l’usage de la mine contre les postes fortifiés, tout a montré que les indigènes avaient su profiter de nos leçons. Vouloir appliquer plus longtemps cette parole de Napoléon III : « ce que l’Afrique peut produire de plus utile pour la France, ce sont des soldats, » c’est tout simplement préparer pour un moment donné une insurrection aussi terrible que celle des cipayes dans l’Inde anglaise.

Non, ce ne sont pas des soldats que l’intérêt général nous commande de faire des indigènes, il vaut mieux en faire des cultivateurs régénérés par la propriété individuelle et le contact européen. Loin d’encourager leurs instincts belliqueux, poursuivons au contraire la réalisation méthodique d’une mesure principale, le désarmement des tribus. Les grands chefs sont pour nous une gêne et un embarras; ils paralysent nos meilleures intentions, et entretiennent contre nous un fanatisme dangereux; il faut éliminer les grands chefs indigènes et les remplacer successivement par des administrateurs français. Nous ne serons réellement maîtres du pays qu’au moment où nous le gouvernerons nous-mêmes directement. Il faut enfin que l’administration militaire fasse définitivement place au régime civil. Pendant quarante ans, l’administration militaire a été le maintien de cet état d’apathie et d’immobilité traditionnelles où végètent les peuples musulmans, en même temps que la négation constante de la colonisation. Le régime civil au contraire transformerait la société arabe, et, tout en travaillant au progrès moral et matériel de la race indigène, assurerait à la France la possession complète et définitive du pays par l’exploitation européenne de millions d’hectares de terre restés jusqu’ici improductifs. Certes le sentimentalisme est une belle chose, comme disait Prevost-Paradol, et la philanthropie une