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nobles occupations par lesquelles elle trompait son veuvage, subissaient des intermittences inattendues. Après avoir invité un de ses amis, un de ceux qui l’aidaient quelquefois dans ses bonnes œuvres, à venir discuter avec elle un système d’enseignement pour les écoles qu’elle avait fondées, après lui avoir indiqué une heure de rendez-vous et pris des mesures pour qu’on ne les dérangeât point, elle le recevait comme un inconnu, ne disait pas un mot du sujet annoncé et ne répondait que par monosyllabes aux questions qu’on lui adressait. « Sa main était comme celle d’une morte, dit ce témoin oculaire; il y avait dans son attitude le silence du tombeau. Le démon du pôle nord pesait sur elle. » Dans une autre circonstance, elle eut besoin d’un maître pour l’école qu’elle entretenait à ses frais à Kirkby-Mallory. On lui procura un homme de mérite qui convenait à merveille à cet emploi, qu’elle reçut avec reconnaissance et dont elle parla pendant plus de deux ans avec de grands éloges; puis tout à coup, sans aucun motif apparent, sans lui témoigner qu’elle eût à se plaindre de lui, elle le congédia en refusant de lui faire connaître les causes de son mécontentement. Le protecteur auquel le malheureux racontait son aventure lui répondit tristement : « Souvenez-vous de lord Byron ! Si lady Byron a mis dans sa tête que vous devez partir, rien ne la fera changer d’avis.» « Il y a une douce faiblesse qu’elle ne connaît point, disait Byron en parlant de sa femme, elle ne sait point pardonner. » Elle ne pardonna en effet à aucun de ceux qui eurent le malheur de se brouiller avec elle.

Cet ange de douceur, qui, dans le récit prétentieux de mistress Beecher Stowe, semble toujours déployer ses ailes pour s’élever au-dessus des misères humaines, était en réalité ou devint avec les années, à la suite de ses malheurs, une personne acariâtre, d’un commerce difficile et d’une humeur fort inégale. Rien n’est plus imprudent de la part de son apologiste que de parler de sa bonté, de la délicatesse et de la générosité de ses sentimens. On la loue précisément des qualités qui lui manquent le plus. Lady Byron employa des sommes considérables à faire le bien, à instruire et à élever des enfans pauvres; mais sa charité ne se manifesta que dans ce genre de bonnes œuvres. Elle apporta au contraire dans ses relations intimes plus de dispositions à se souvenir d’une injure réelle ou supposée que de tendances au pardon. Elle ressentait même si vivement les offenses qu’elle se plaignait volontiers devant les étrangers d’avoir été offensée. Elle faisait venir un jour un ecclésiastique du voisinage uniquement pour lui raconter les mauvais procédés de son petit-fils (lord Ockham) à son égard; le monologue terminé, après avoir exhalé son mécontentement, elle congédiait sans cérémonie