Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adressée par elle en 1818 à lady Anne Barnard. « Le moi, dit-elle, est le principal mobile de son imagination : aussi lui est-il difficile de s’enflammer pour un sujet avec lequel son caractère et ses intérêts ne s’identifient point; mais en introduisant des incidens fictifs, en changeant de scène ou d’époque, il a enveloppé ses révélations poétiques dans un système impénétrable, excepté pour un petit nombre de personnes, et son désir constant de créer une sensation ne lui fait pas redouter d’être un objet d’étonnement et de curiosité, même quand cette opinion est accompagnée de soupçons vagues et sombres. » Ne pouvoir se détacher de soi, se mettre toujours en scène sous des noms supposés, aimer à se confondre aux yeux du public avec des personnages mystérieux et équivoques, avec Childe-Harold, avec le Corsaire, avec Lara, voilà en effet le trait principal de l’imagination de Byron et le fond personnel de ses premières poésies.

Après avoir lu les lettres de lady Byron, on ne peut contester les rares qualités de son esprit; mais d’importans témoignages révèlent chez elle de graves défauts de caractère. Cette personne si méthodique, qui ne se gouvernait que d’après des principes fixes, dont les opinions paraissaient si solides et les sentimens si durables, était sujette à d’étranges caprices. On la voyait suivre avec une rigidité en apparence inflexible la ligne qu’elle s’était tracée, puis s’en écarter tout à coup par un revirement soudain et inexplicable. Quoiqu’elle se piquât d’esprit de conduite, elle se donnait à elle-même de perpétuels démentis par la mobilité de son humeur. On vantait beaucoup, disait Byron, la solidité de son caractère et la constance de ses idées; « elle ne m’en donna aucune preuve; elle commença par refuser ma main, pour l’accepter ensuite et pour se séparer plus tard de moi. » En trois ans, elle avait eu trois opinions sur le compte de son mari. Ni l’âge ni l’expérience de la vie, ni le malheur ne donnèrent à ses goûts plus de fixité. Il suffisait qu’elle aimât quelqu’un ou quelque chose pour qu’au bout d’un certain temps elle se lassât de les aimer. Il y a des caractères ainsi faits qui s’engouent aisément et se détachent plus facilement encore. Une des personnes qui ont le mieux connu lady Byron et le plus vécu dans son intimité raconte qu’elle déconcertait ses relations par l’inégalité de son humeur. Un soir, on la trouvait aimable, cordiale, pleine de gaîté et de sympathie pour les autres; le lendemain matin, elle était devenue de glace; elle paraissait refroidie jusqu’au fond de l’âme; quelques efforts que l’on fît pour la ranimer ou pour l’égayer, on n’y réussissait pas. Elle concevait alors contre les personnes ou contre les choses des préventions dont elle ne revenait plus. Sa charité elle-même et son zèle pour l’éducation des enfans pauvres, les