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isolément ses comptes à Dieu, n’a-t-il pas un intérêt à connaître l’exacte vérité en cette matière, un devoir à remplir en ce qui regarde la vérité? » Une œuvre d’histoire, d’informations exactes, où l’on cherche la vérité sans parti-pris, ne s’écrit pas sur ce ton. Ce que mistress Beecher Stowe appelle la vérité, ce n’est pas ce qui résulte de l’étude comparative et impartiale des faits, c’est ce qui flatte sa passion. Ou elle se trompe elle-même, ou elle nous trompe. Elle parle en inspirée et en dupe, non en historien.

A-t-elle du moins servi la cause qu’elle prétendait relever ? a-t-elle replacé sur le piédestal d’où la comtesse Guiccioli la faisait descendre la pure image de lady Byron? Une impression toute contraire à l’effet qu’elle espérait produire est sortie de la controverse si imprudemment soulevée par elle. Comme il arrive d’ordinaire, l’excès de son zèle a tourné contre sa cliente. L’enquête minutieuse qu’elle provoquait en Angleterre, les recherches auxquelles on se livrait de toutes parts pour lui répondre dans les archives de famille, les communications adressées à la presse anglaise par des témoins oculaires ou par des personnes bien informées, loin de rehausser le caractère de lady Byron, présentaient celle-ci sous un jour moins favorable que ne l’avait fait Moore autrefois. Même après l’ouvrage de la comtesse Guiccioli, qu’on ne lisait guère et qu’on estimait encore moins, on en était resté en général aux appréciations bienveillantes et mesurées de l’ami de Byron. Quand la vérité fut mieux connue grâce aux discussions qu’avait suscitées en Angleterre le pamphlet de mistress Beecher Stowe, il fallut bien convenir que la conduite de lady Byron offrait plus de prises à la critique que ne l’avait laissé voir le conciliant biographe de son mari. Sa réputation de femme distinguée ne perdit rien aux révélations successives de la presse; les lettres inédites qu’on publia d’elle témoignent d’un esprit net et vigoureux. On la voit attentive à observer les autres, peu disposée à se payer d’illusions et faisant effort pour pénétrer au fond des choses, quoique trop pressée peut-être de juger et de conclure. Au moment où l’on rend justice aux qualités viriles de son esprit, on est tenté de se rappeler ce que disait Byron de sa confiance en elle-même, de ses prétentions à l’infaillibilité. Elle se croyait si sûre de ses jugemens qu’elle ne revenait pas volontiers sur les opinions qu’elle avait exprimées. La nature mobile de son mari la déconcertait évidemment et l’empêcha plus d’une fois de le bien comprendre. Elle prit pour des traits de caractère ce qui n’était que le caprice du moment, que la fantaisie du jour. Byron ne voulait se reconnaître dans aucun des portraits qu’elle traça de lui. Elle a cependant jugé admirablement le principe de sa poésie. On n’a rien écrit sur ce sujet de plus pénétrant et de plus vrai que la conclusion d’une lettre