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l’énormité du crime, la réputation dont jouissait mistress Beecher Stowe, excitèrent au plus haut degré la curiosité publique. Une ardente controverse s’engagea dans toute la presse anglaise. A la surprise des premiers jours succéda généralement, malgré la bonne opinion qu’on avait de l’accusatrice et la mauvaise renommée de l’accusé, un vif sentiment d’incrédulité. Les objections s’élevèrent de toutes parts. L’inceste suppose deux coupables; en admettant que lord Byron fût assez dépravé pour essayer de séduire sa sœur, y avait-il une raison de croire que celle-ci eût pu accepter des liens si criminels? Comment avait vécu la prétendue complice du poète? Était-ce une de ces femmes dont la conduite légère autorise de tels soupçons? La biographie de mistress Augusta Leigh, recomposée avec soin par la curiosité publique, ne fournit aucune preuve à l’appui de l’accusation dont mistress Beecher Stowe accablait sa mémoire. Attachée à la cour comme dame d’honneur, femme d’un officier que le prince régent admettait dans son intimité, mère de sept enfans, la sœur de lord Byron n’avait jamais attiré l’attention que par le soin avec lequel elle remplissait ses devoirs. On ne trouvait dans sa vie aucune apparence de coquetterie, aucune trace de désaccord entre elle et son mari. Plus âgée de six ans que son frère, déjà mariée quand il n’était encore qu’un jeune homme de dix-neuf ans, très longtemps séparée de lui, à quel moment eût-elle pu lui inspirer une passion coupable? Était-ce lorsqu’il revint d’Orient, pendant son séjour à Londres, qu’une plus grande intimité s’établit entre les deux enfans du même père? Mais mistress Leigh, timide et réservée, d’une figure peu attrayante, pouvait-elle séduire un jeune homme dont tant de femmes belles et spirituelles se disputaient le cœur, qui fuyait plutôt qu’il ne recherchait les émotions de l’amour? On savait qu’il allait se reposer auprès d’elle des fatigues d’une vie dissipée, qu’elle l’accueillait avec l’indulgence d’une sœur aînée, presque d’une mère, qu’elle n’usait de son ascendant sur lui que pour le modérer dans les passions et le consoler dans les chagrins. Qui donc osait transformer après coup des relations si naturelles et si dignes de respect en une liaison criminelle? Parmi les anciens amis de mistress Leigh, il n’y eut qu’un cri d’indignation à la nouvelle du crime qu’on lui imputait.

En même temps l’enquête minutieuse à laquelle on se livra de nouveau sur les motifs qu’avait eus lady Byron de se séparer de son mari fit ressortir l’invraisemblance de ce qu’avançait mistress Beecher Stowe. On retrouva les pièces essentielles du procès, on établit qu’au mois de mars 1816 les amis des deux époux avaient essayé de les rapprocher, que dans cette circonstance lord Broughton (Hobhouse) agissait au nom de lord Byron, et M. Wilmot Horton