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mari l’avaient détachée de lui sans retour, son droit de le quitter était incontestable. Lord Byron ne pouvait ni la retenir malgré elle, ni la forcer à subir sa présence. Avait-elle néanmoins rempli tous ses devoirs après avoir assuré la tranquillité de sa vie et mis son honneur en sûreté sous le toit de son père ? Ne devait-elle rien de plus à l’homme illustre qui l’avait tirée de la foule pour lui faire partager la célébrité de son nom ? La vie privée d’un grand écrivain ne peut se dérober à la curiosité publique; lady Byron savait que son départ de la maison conjugale serait bientôt le sujet de tous les entretiens. N’y avait-il pas de sa part quelques précautions à prendre pour que la médisance ne s’emparât point de cet événement et n’en grossît pas les proportions? Qu’elle songeât d’abord à elle-même, à son repos, à celui de sa famille, rien de mieux; mais l’honneur de son mari, l’honneur du père de son enfant ne méritait-il pas qu’elle en prît soin ? Si le lendemain de la séparation le nom qu’elle portait allait être livré à toutes les insultes et à toutes les calomnies, n’avait-elle pas sa part de responsabilité dans ce déchaînement de l’opinion publique? Sa propre réputation mise à couvert, celle de lord Byron lui devenait-elle indifférente? On la justifiera difficilement de s’être placée à un point de vue tout personnel sans songer aux conséquences qu’entraînait pour un autre une séparation qu’il ne dépendait pas d’elle de tenir secrète.

En se séparant de lord Byron comme elle le fit, elle ne se bornait pas à reconquérir sa liberté, — ce qui était son droit, — elle attirait sur la tête de son mari un châtiment qui dépassait la mesure d’un désaccord domestique, et qu’une femme plus généreuse eût eu à cœur de lui épargner. Lorsqu’on vit une personne aussi estimée que lady Byron, une jeune mère que l’on citait comme un modèle de vertu, quitter la maison conjugale, lorsqu’on la vit surtout garder un silence systématique sur les causes de son départ, on en conclut que les fautes de son mari étaient trop graves pour être révélées. On ne se contenta point de la plaindre, on accusa le coupable qui la réduisait à cette extrémité d’avoir commis des crimes que sa générosité l’empêchait de nommer. Plus lady Byron fut réservée, plus cette réserve accabla lord Byron. En refusant de s’expliquer sur les motifs qui l’éloignaient de lui, elle autorisa contre l’homme qu’elle abandonnait les accusations les plus odieuses. Celles-ci ne se firent pas attendre; un événement fort simple et assez commun, une brouille de ménage., fut transformée par l’opinion en un mystère d’iniquité. On écrivit des pamphlets, on publia des caricatures où le poète, la veille encore si admiré et si populaire, était désigné à l’indignation publique. Sifflé lorsqu’il se rendit à la chambre des lords, insulté dans les rues, n’osant se montrer au