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tour, tâche délicate qu’une femme courageuse ou prompte aux illusions pouvait seule entreprendre !


II.

Miss Milbanke affronta le péril sans en connaître certainement toute l’étendue, mais sans qu’il lui fût permis d’en ignorer la gravité. Deux ans s’étaient écoulés depuis la première demande de lord Byron; elle avait eu le temps de réfléchir et de s’informer; aucun indice ne pouvait lui faire supposer qu’une réforme se fût opérée dans les sentimens et dans la conduite du poète, depuis le jour où elle avait refusé sa main. Le monde gardait de lui la même opinion. On continuait à parler de ses amours et de son originalité. Personne ne parlait de ses principes, encore moins de sa vertu. Une jeune fille de vingt-deux ans, d’un caractère aussi mûr et aussi résolu que celui de miss Milbanke, ne s’engage évidemment point dans les liens du mariage sans avoir pris ses informations et calculé ses chances de bonheur. Peut-être pour réussir compta-t-elle davantage sur sa volonté et sur son mérite que sur les qualités de son mari. En tout cas, elle se décida sans doute moins légèrement que lui. Il est difficile de jouer sa destinée avec plus d’insouciance que ne fit lord Byron lorsqu’il demanda pour la seconde fois la main de miss Milbanke. Un de ses amis, le voyant malheureux, irrésolu, inquiet du présent et de l’avenir, le supplia de se marier pour sortir d’incertitude, pour se créer enfin une règle et des devoirs. Il y consentit en thèse générale, et prononça lui-même le nom de la future lady Byron. On lui objecta avec beaucoup de force que miss Milbanke ne jouissait pas encore de sa fortune, qu’ayant des affaires embarrassées il ne pouvait épouser qu’une personne riche, et que d’ailleurs une savante ne lui convenait en aucune manière. Il se rendit si facilement à ces objections qu’il permit à son ami d’adresser une demande en son nom à une autre personne. La réponse fut négative; en la recevant, lord Byron s’écria : « Vous voyez bien que ce doit être miss Milbanke; je vais lui écrire. » Et aussitôt il prit la plume; quand il eut achevé sa lettre, son ami s’en empara en continuant à protester contre un tel choix, la lut et, la trouvant charmante, ne put s’empêcher de dire : « En vérité, voilà une bien jolie lettre, ce serait dommage qu’elle ne partît point. Je n’en ai jamais lu une plus jolie. — Alors elle partira, » reprit lord Byron, qui aussitôt la cacheta et la fit partir. En quelques minutes, avec moins de réflexion qu’il n’en faut pour des résolutions moins graves, il avait décidé de son sort.

Miss Milbanke écrivit sur-le-champ une réponse favorable, conçue dans les termes les plus flatteurs, et pour que son futur mari.