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involontaire pour celui dont elle refusait la main, et comme une frayeur secrète d’être obligée de rompre avec lui. Non-seulement sa réponse négative fut enveloppée, ainsi qu’il est d’usage, des formes les plus courtoises et les plus flatteuses, mais plus tard elle exprima le désir de continuer une correspondance déjà commencée entre eux, et lui écrivit depuis lors les lettres les plus amicales. Quant à lui, il avait songé au mariage sans amour, par pure lassitude de la vie déréglée qu’il menait, pour se ranger et faire une fin. Son cœur demeurant libre, il lui en coûtait peu de correspondre amicalement, même sans prétention personnelle, avec une femme distinguée dont il estimait l’esprit autant que le caractère.

Quelle personne était-ce que miss Milbanke en 1813 ou en 1814? Nous ne connaissons d’elle d’autres portraits que ceux que nous trace son futur mari. D’après le témoignage de lord Byron, nous pouvons nous la représenter non peut-être telle qu’elle était en réalité, mais du moins telle qu’il la voyait alors. « Aujourd’hui, écrivait-il dans son journal le 30 novembre 1813, reçu une bien jolie lettre d’Annabella, à laquelle j’ai répondu. Quelle chose étrange que notre situation respective et notre amitié, sans une seule étincelle d’amour de part ni d’autre, et tout cela produit par des circonstances qui généralement amènent la froideur d’un côté et l’aversion de l’autre! C’est une femme vraiment supérieure et très peu gâtée, ce qui est étonnant chez une héritière, une jeune fille de vingt ans, une future pairesse en vertu de ses droits personnels, une fille unique et une savante, qui a toujours suivi sa propre voie. Elle est poète, mathématicienne, métaphysicienne, et cependant avec tout cela vraiment tendre, généreuse, aimable et très peu prétentieuse. Une autre tête aurait été tournée par la moitié du mérite qu’elle a acquis et un dixième de ses avantages.. » Lord Byron, tout en traçant cet aimable portrait, se consolait si aisément du refus de miss Milbanke qu’il se prêtait, dans le courant de l’année 1813, à plusieurs négociations matrimoniales. A ses yeux, le mariage était une simple affaire, une mesure de précaution qu’il prenait contre lui-même pour revenir à une vie plus régulière, moins agitée, moins dangereuse. « Une femme serait mon salut, d’écrit-il le 16 janvier 1814. Cependant elle ne le sauvera qu’à la condition qu’il n’en devienne point amoureux; il craint pour son repos les orages des passions; c’est précisément pour les éviter qu’il songe au mariage. Cette préoccupation toute personnelle ne promettait à l’objet de son choix qu’un bonheur incertain. Thomas Moore, qui connaissait son ami, se félicite intérieurement qu’une jeune personne de grand mérite, dont il aimait la famille, n’ait pas été choisie pour une si douteuse expérience. Consoler Byron, calmer ses accès de désespoir, désennuyer son scepticisme, se donner à lui sans pouvoir espérer qu’il se donnât à son