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IV

Nous venons de voir qu’avec l’empire l’éducation des femmes devint plus étendue et leur situation plus indépendante. Quelles furent les conséquences de ce changement pour la morale publique ? Rome s’est-elle bien trouvée de s’être relâchée de ses antiques rigueurs, ou faut-il donner raison à ceux qui ne cessaient de se plaindre qu’on eût abandonné les usages des aïeux ? La question serait vidée, si l’on se fiait entièrement au témoignage des moralistes et des satiriques. Tous nous présentent de leur époque les tableaux les plus repoussans, ils sont surtout fort sévères pour les femmes, et c’est contre elles qu’ils dirigent leurs plus violentes attaques. Avant d’accepter leur opinion, il faut se souvenir qu’il n’y a pas de pays où les maximes anciennes se soient plus longtemps maintenues qu’à Rome. On les répétait encore quand on ne les pratiquait plus ; après qu’elles avaient cessé d’être des traditions vivantes sur lesquelles on réglait sa vie, elles continuaient d’exister comme des préjugés hargneux qui fournissaient des armes commodes à tous les mécontens. L’opinion publique leur restait volontiers fidèle ; lors même qu’elle sentait la nécessité de céder quelque chose aux exigences du présent, elle éprouvait beaucoup de peine à se détacher du passé ; il entrait un peu de mauvaise grâce dans toutes les concessions auxquelles elle se résignait, et elle était toujours disposée à faire payer ses complaisances par quelques sévérités. En même temps qu’elle laissait les femmes mener une existence plus libre, elle comblait d’éloges l’époque où elles vivaient plus retirées, elle prétendait juger les mœurs de ce siècle avec les idées d’autrefois, elle acceptait les principes nouveaux et se révoltait contre les conséquences. Ces dispositions, qui étaient alors celles de tous les moralistes, devaient nécessairement les rendre injustes et exagérés.

Quand on examine de près les reproches qu’ils adressent aux femmes, on s’aperçoit que les défauts qu’ils reprennent chez elles avec tant d’amertume étaient la suite presque inévitable de leur nouvelle façon de vivre ; ils avaient leur source dans cette émancipation et cette indépendance dont quelques-unes pouvaient faire un mauvais usage, mais qui n’en était pas moins un progrès et un bonheur pour l’humanité. C’est ainsi qu’on les accuse souvent d’être devenues impudentes, effrontées, de vouloir toujours attirer les yeux sur elles, d’aimer à étaler partout leur coquetterie. « Quand une matrone, dit le rhéteur Porcius Latro, veut être en sûreté contre les tentatives des audacieux, elle doit se vêtir tout juste assez bien