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pas. Périclès disait aux Athéniennes que leur sexe n’avait qu’une seule gloire à espérer, c’est qu’on ne parlât jamais d’elles ni en bien ni en mal. Une Romaine ne s’en serait pas contentée : en récompense de leur dévoûment pour la république, les femmes obtinrent à Rome le droit d’être louées publiquement après leur mort comme les hommes. Aux obsèques d’une grande dame, le cortège s’arrêtait au Forum, et le plus proche parent de la défunte, montant à la tribune, faisait l’éloge de sa naissance et de ses vertus. Elles étaient en possession de ce droit dès l’époque de Caton, leur ennemi acharné ; avec le temps, elles en conquirent beaucoup d’autres. À mesure qu’on avance dans l’histoire de Rome, on voit leur importance s’accroître. Il leur était arrivé déjà, pendant la république, de n’être pas sans influence sur les délibérations du peuple et du sénat, mais elles n’y intervenaient encore que d’une façon détournée. Sous l’empire, elles ne prennent plus la peine de cacher la part qu’elles ont dans la direction des affaires. Auguste, si jaloux de son pouvoir, consent presque à le partager avec Livie ; il la consulte dans les situations graves, il l’associe aux honneurs qu’on lui rend ; il lui fait accorder, ainsi qu’à sa sœur Octavie, l’inviolabilité tribunitienne. Claude est entièrement gouverné par ses femmes, et rien ne se fait plus dans l’empire sans leur aveu. Le jour où le chef breton Caractacus fut conduit enchaîné dans les rues de Rome pour orner le triomphe impérial, Agrippine était placée sur un trône, non loin de celui de son mari, entourée comme lui des soldats et de leurs aigles, et le vaincu dut lui rendre les mêmes hommages qu’à l’empereur. « C’était assurément un spectacle nouveau, dit Tacite, et fort opposé à l’esprit de nos ancêtres, de voir une femme siéger devant les enseignes romaines ! » Il ajoute qu’il ne suffisait pas à Agrippine d’être l’épouse du prince et qu’elle voulait qu’on la regardât comme associée à son empire. Cette prétention cessa bientôt de surprendre, tant elle devint commune. Avec les Antonins, on commence à donner aux impératrices le nom de a mères des camps et des légions ; » on y joignit plus tard celui de a mères du sénat et du peuple, » et ces titres n’étaient pas de pures flatteries : il leur est arrivé souvent, avec les Sévères, de disposer de l’empire et de le gouverner à leur gré, sous le nom de leurs maris ou de leurs fils.

L’exemple donné par la cour fut naturellement imité partout. Nous voyons souvent à cette époque les femmes de la haute société de Rome se mêler ouvertement aux intrigues politiques. Elles y apportent ces qualités de finesse et de ténacité qui leur sont ordinaires. Si elles ne peuvent pas demander pour elles-mêmes les charges de l’état, elles ont leurs protégés en faveur desquels elles sollicitent. Sénèque dut en partie sa questure aux démarches actives de sa